Histoire du Japon
le domaine pratique. Il ne fait aucun doute que le caractère du Shingon tel qu’il se développa au Japon dut beaucoup à l’esprit tolérant et créateur de Kôbô Daishi lui-même.
La doctrine complète du Shingon, avec toutes ses complexités, n’est pas facile à expliquer, mais son principe fondamental est assez simple à formuler, sinon à saisir. Il considère l’ensemble de l’univers comme une manifestation du Bouddha Suprême Vairocana. Le Bouddha Suprême est présent partout et en tout, dans chaque pensée, chaque acte, chaque parole, en sorte que tous les bouddhas et bodhisattvas font partie de lui. Dans cette optique, on pouvait concevoir sans peine que les divinités shintoïste étaient, elles aussi, des manifestations du Bouddha Suprême.
Le caractère compréhensif et hospitalier du Shingon avait ainsi le grand avantage de donner une haute autorité doctrinale à l’idée d’assimiler les divinités shintoïstes aux bouddhas et bodhisattvas. Ainsi qu’on l’a vu, leur identification demeurait jusqu’ici incomplète, car (comme l’atteste un édit de 765) la coutume voulait que l’on considérât lçs dieux du shintô comme les protecteurs des bouddhas et du bouddhisme ! Mais sous l’influence des deux nouvelles sectes (car Saichô et Kükai eurent tous deux soin de ne pas s’en prendre au shintô) le processus d’identification se trouva favorisé, et donna pour finir, mais pas avant la fin du xe siècle, ce qu’on appela le ryôbu shintô, ou shintô double, une forme achevée de syncrétisme. Le culte indigène avait tout intérêt à encourager une telle assimilation, qui lui permettait de partager les avantages dont bénéficiait le bouddhisme en tant que religion des gens les plus puissants et les plus éclairés du pays. Cette harmonie entre bouddhisme et shintoïsme contraste de façon significative avec la mésentente entre bouddhisme et confucianisme ou bouddhisme et taoïsme en Chine, et, de ce point de vue, avec la lutte opposant en Europe le paganisme au christianisme.
Au Japon, bien que le bouddhisme ait apporté quelques changements dans les pratiques shintô, la foi indigène ne succomba pas à son influence, mais garda une puissance certaine dans une sphère restreinte. Pour la bonne raison qu’au ix e et au xe siècle, le bouddhisme n’était pas encore une religion populaire. C’était un véhicule de haut savoir, et la foi professée par la cour et l’aristocratie, puisqu’il y avait une chapelle Shingon au palais et que les courtisans assistaient régulièrement aux services célébrés dans les principaux monastères des environs de la ville. Mais dans son cœur, la population des campagnes demeurait païenne, chérissait les anciennes croyances et vénérait les dieux accoutumés. Bien que de sympathies et d’intérêts universels, Kôbô Daishi lui-nême n’était pas d’abord un évangéliste brûlant du désir de répandre sa foi. On dit d’ailleurs du Shingon que, tout universel qu’il soit, il n’a pas su pourvoir au salut universel.
Dans une société dominée par la cour et les membres dirigeants de la hiérarchie bureaucratique, le but de ce grand maître était d’obtenir pour sa cause l’appui de la caste régnante. Il n’aimait pas la controverse, car toute sa conception le portait à la tolérance et à la conciliation, l’objectif de sa vie étant de construire un système global qui pût s’accommoder de tous les panthéons et de tous les credo. C’est pour cette raison-là que la cosmologie Shingon accueillit les dieux du vieux Japon dans son sein généreux. Mais Kôbô Daishi ne s’occupait en fin de compte pas du mouvement de façon très active. Son génie se manifesta non seulement dans la construction d’un puissant système théologique, mais aussi dans le savoir séculier, les beaux-arts, la littérature et la linguistique, les travaux publics et la charité, et notablement dans le détail des cérémonies mystiques de sa secte. On peut le considérer comme l’interprète suprême de cet approche éclectique de la philosophie qui paraît être caractéristique de la pensée japonaise.
Rien n’indique que Kôbô Daishi eût des ambitions politiques. Il était en bons termes avec la cour sans être un favori de l’empereur Kammu. Il avait une grande influence sur l’aristocratie, parce que le rituel riche et raffiné du Shingon était l’un des traits dominants de la vie de la noblesse, à laquelle il offrait
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