Hitler m'a dit
croyais en savoir il y a quelques années. » Je lui répondis que cette rage d’organisation qui sévissait partout me paraissait moins propre à éclairer la question que des investigations méthodiques et sérieuses.
— « Ne vous rendez-vous donc pas compte, répliqua le Führer avec impatience, qu’il faut bien que je donne quelque chose à faire à mes gens ? Ils veulent tous collaborer. Ils brûlent d’ardeur. Alors je leur laisse le champ libre. Qu’ils essayent tant qu’ils voudront. Tout bien considéré, le système corporatif n’est pas une chose si importante qu’elle puisse causer de grands dommages. Et en fin de compte, de tous ces efforts, il peut sortir quelque chose d’utilisable. »
Ce flot de paroles n’avait-il pas pour but unique de dissimuler qu’il n’était pas le moins du monde question de trouver, par voie expérimentale, un nouvel ordre économique allemand ? Ne s’agissait-il pas plutôt d’occuper la masse du parti pour la détourner de questions plus importantes ? Je ne le pense pas. Les mobiles de la politique d’Hitler et de ses décisions personnelles sont toujours plus complexes. Certainement, il avait une raison impérieuse d’amuser le parti, en le lançant sur la transformation de l’économie. Mais l’on aurait tort de croire que c’était là, le seul motif. La mémoire d’Hitler avait en vérité la propriété de ne retenir que les mobiles qui pourraient servir ultérieurement à sa propre justification.
Hitler n’a d’ailleurs jamais consenti à s’occuper des détails d’une question, sauf dans deux domaines : la politique extérieure et l’armée. Partout ailleurs, il U 1 était indifférent d’arriver à la compétence, à la maîtrise. Il s’impatientait dès qu’on voulait lui exposer des problèmes de détail. Il avait une extrême aversion pour les techniciens, les experts, les spécialistes, et ne faisait aucun cas de leur jugement. Il les considérait comme de simples manœuvres, des nettoyeurs de pinceaux ou des broyeurs de couleurs, pour rester dans la terminologie de son propre métier.
— « Affranchissez-vous de la paperasserie », me dit-il ce jour-là. « Pour les questions bureaucratiques, vous avez du personnel à votre disposition. Gardez votre liberté de jugement. On voit tout de suite que vous vous occupez beaucoup, beaucoup trop des détails ; ne tombez pas dans la déplorable manie de l’ex-chancelier Brüning qui se croyait obligé d’écrire de sa main toutes les lois qu’il promulguait. Voilà qui donne sa mesure ! Aussi ne lui restait-il aucune force pour de grandes résolutions. Quelle sotte ambition que de vous embarrasser de vétilles et de rédiger vous-même des textes de lois ! » Je répondis qu’à la vérité, j’avais étudié, jusque dans les moindres détails, les lois concernant la réglementation envisagée, car c’est dans le détail que la chose pouvait être dangereuse. Je ne voyais pas comment on pouvait éviter ce travail. En me l’épargnant, je resterais sous la dépendance de mes propres experts et devrais, en fin de compte, décider par intuition pure.
« Mais c’est précisément ce que vous devez faire », m’interrompit vivement Hitler. « Fiez-vous à votre intuition, à votre instinct ou à tout ce que vous voudrez, et jamais à vos connaissances. Notez bien cela une fois pour toutes. Les techniciens n’ont jamais d’instinct. Ce n’est pas chez eux que vous devez le chercher, c’est en vous-même et chez vos camarades du parti. Plus vous parlerez avec les membres du parti, plus les choses vous paraîtront claires, plus les questions deviendront simples pour vous. Vous serez contraint vous-même de penser plus clairement, de simplifier les problèmes, quand vous voudrez les faire comprendre aux membres du Parti. Vous devrez faire litière de tout ce qui est complice, de tout ce qui est doctrinaire. C’est le résultat bienfaisant de notre échange permanent d’idées avec les membres du parti, c’est-à-dire avec le peuple lui-même, et non pas avec des députés qui ne connaissent pas le peuple, comme cela se passe dans les démocraties. Quant aux techniciens, qui sont empêtrés dans leurs théories comme des araignées dans leur toile, et qui sont incapables de tisser autre chose, donnez-leur simplement des ordres, et vous verrez qu’ils reviendront avec des projets utilisables. Les techniciens peuvent toujours modifier leurs vues. Ils pensent
Weitere Kostenlose Bücher