Iacobus

détendit. Une fois le repas fini, je repris notre
discussion :
    — Qu’attendent de moi les Templiers ?
Vous n’allez tout de même pas me demander de prononcer des voeux alors que je
viens juste de quitter mon ordre ! Ce serait absurde !
    — Les Templiers ne vous veulent pas vous, Galcerán
de Born. Les Templiers veulent le Perquisitore.
    — Je suis le Perquisitore, répondis-je, indigné.
    — Il n’y en a pas d’autres, cela est
certain. C’est bien pour cela que nous avons besoin de vous. Nous ne vous
demandons pas de professer dans notre ordre ni de renoncer à la vie que vous
souhaitez mener dorénavant. Nous désirons juste que vous travailliez pour nous.
En échange, tout ce que vous avez demandé vous sera accordé, et plus même
peut-être. Nous sommes convaincus qu’un homme comme vous se verra amplement
récompensé par le simple fait d’être partie prenante dans les projets que nous
formons actuellement.
    — Quelle présomption !
    — Attendez ! Je n’ai pas terminé.
    Son visage reflétait une satisfaction intime,
une secrète complaisance que je ne pus comprendre. Pourquoi devrai-je accéder à
sa demande ? Je possédais des armes puissantes, et il le savait. Pourquoi
discuter encore ? Je dois confesser pourtant que j’éprouvais une grande
curiosité pour la proposition de Manrique.
    — Le chapitre général de mon ordre s’est
réuni il y a quelques jours au Portugal. Il a décrété comme objectif
prioritaire d’obtenir la collaboration du Perquisitore pour
certaines entreprises que nous sommes en train de mettre en place. Vous savez
sans doute que le pape Jean XXII a autorisé la création d’un nouvel ordre
militaire au Portugal : l’ordre des chevaliers du Christ.
    — Il l’a enfin autorisée !
    — Ah ! vous en avez entendu
parler ! Vous savez aussi donc que le roi du Portugal, don Diniz, est l’un
de nos fervents alliés, et qu’avec la fondation de ce nouvel ordre, qui sera
officiellement créé l’année prochaine, il prétend faciliter notre survivance et
nous rendre nos possessions au Portugal. Elles sont actuellement entre ses
mains grâce à la bulle de dissolution du défunt pape Clément V.
    — Que vous avez vous-même tué.
    — Vous savez aussi cela ! dit-il,
surpris. Bon sang, Galcerán, vous m’étonnerez toujours ! Est-ce Sara qui
vous l’a dit ?
    — Non. Je vous ai déjà dit que Sara fait
preuve d’une loyauté totale envers l’ordre du Temple. En fait, c’est François,
l’aubergiste de Roquemaure.
    — Oui, je me souviens de lui.
    — Le brave homme avait noté les noms des
deux médecins arabes qui s’étaient occupés du pape, il suffisait de les
décrypter.
    — Vraiment, je n’en reviens pas !
murmura-t-il avec une admiration croissante. À un autre moment, je vous
demanderai de me raconter tout ce que vous savez de cette histoire. Il est vrai
qu’Evrard et moi avons eu l’honneur de faire payer ces canailles. Comme je vous
l’ai déjà dit, quelqu’un devait se charger du sale travail, et nous l’avons
fait, et même très bien, il faut le reconnaître. Mais j’aimerais en revenir à
notre affaire car j’ai encore beaucoup de choses à vous dire.
    — Je vous écoute.
    — Bien. La situation est la suivante :
les Templiers ont cessé d’exister publiquement. Dans moins d’un an, on nous
appellera chevaliers du Christ et nous aurons récupéré toutes nos possessions
portugaises ainsi qu’une grande liberté de manoeuvre. Un vaste horizon s’ouvre
donc devant nous.
    — Le Portugal n’est pas un royaume puissant
pourtant.
    — Non, vous avez raison, mais il offre une
ouverture magnifique sur l’océan.
    Manrique poursuivit sans me laisser le temps de
lui demander pourquoi diable les Templiers s’intéressaient soudain à l’océan.
    — Le chapitre général, prévoyant votre
demande de négociation, a estimé que vous représentiez une acquisition
essentielle pour notre nouvel ordre. Ils ont été impressionnés par votre
habileté à découvrir nos clés les plus secrètes, à échapper à nos pièges, à
vous évader de Las Medulas. L’ordre du Temple, pourtant renommé pour son
habileté et sa ruse, berné par un homme seul ! Cet homme, capable de faire
tomber toutes nos barrières, devait être de notre côté, et non de celui de nos
ennemis. Nous ne cherchons pas à acheter votre silence, Galcerán, ajouta-t-il
d’un air soucieux comme si je risquais de le comprendre mal. Vous