Iacobus
J’avais tout d’abord pensé qu’il serait préférable de le changer
de place pour lui éviter une pneumonie mais changeai d’avis : il disposait
de la meilleure place pour observer les constellations et les phénomènes
célestes. Une paire de couvertures devrait suffire à le protéger du froid de la
nuit.
Si l’on me permet ce commentaire, je dirais que
le seul défaut de Paris, c’est qu’il y a trop de monde. Étudiants, bateleurs,
marchands, nobles en quête d’aventures, paysans, ouvriers, chapelains cheminant
vers leur résidence ou les nombreux couvents de la ville, vagabonds, mendiants,
peintres, orfèvres, courtisanes, joueurs, gardes royaux, chevaliers,
religieuses... La ville compte deux cent mille habitants, dit-on, et on en est
arrivé à un point tel que les autorités ont dû poser de lourdes chaînes
cadenassées au bout des rues pour pouvoir les bloquer plus rapidement quand il
devient nécessaire de modérer la circulation des piétons, des voitures et des
cavaliers. Jamais je n’ai vu dans aucune ville, et j’en ai connu beaucoup, un
trafic aussi terrible que celui de Paris. Il ne se passe pas un jour sans que
quelqu’un ne meure écrasé par le carrosse d’un amoureux de la vitesse.
Naturellement, avec une telle agitation, les vols sont aussi habituels qu’un Pater
noster, et il faut se montrer très vigilant pour ne pas se
retrouver dépouillé de sa bourse sans s’en apercevoir. Pour en finir avec la
liste des maux de Paris, je dirai que s’il y a quelque chose de plus abondant
encore que ses habitants, ce sont ses rongeurs, des rats énormes. Une seule
journée dans cette ville peut s’avérer épuisante.
Au milieu de toute cette folie, je devais
trouver une femme qui répondait au nom de Béatrice d’Hirson. C’était la dame de
compagnie de Mahaut d’Artois, belle-mère de Philippe V, roi de France. Je
savais que les sauf-conduits établis à mon nom par l’ordre de Montesa me
seraient de bien peu de secours pour être admis en présence de Béatrice
d’Hirson. Même si elle ne disposait pas à ce qu’il semblait de titre
nobiliaire, elle devait pourtant appartenir à la plus ancienne noblesse
française pour occuper cette charge. Je méditai longuement sur ce point et
finalement décidai de lui écrire. Je lui laissais entendre dans la lettre que
mon souhait de la rencontrer était lié à une affaire concernant son ancien
amant Guillaume de Nogaret. Si je ne me trompais pas, cela devrait suffire à
provoquer une invitation immédiate.
Je rédigeai la missive avec soin, et envoyai
Jonas au palais de la Cité pour qu’il la remette à sa destinataire en mains
propres si cela lui était possible. En attendant son retour, je passai la
matinée à relire certains documents et planifier mes démarches suivantes. Une
visite à la forêt de Pont-Sainte-Maxence, située à quelques lieues au nord de
Paris, s’imposait. Je voulais voir l’endroit où Philippe le Bel, après une
chute de cheval, avait été attaqué par un énorme cerf. Selon les renseignements
que m’avait fournis Sa Sainteté, la matinée du 26 novembre 1314, le roi était
sorti chasser en compagnie de son chambellan Hugo de Bouville, de son
secrétaire particulier, Maillard, et de quelques familiers. Quand ils
atteignirent une certaine partie de la forêt que le roi connaissait bien pour y
chasser souvent, des paysans leur racontèrent qu’à deux reprises récemment, on
avait vu dans les environs un cerf de douze cors et d’un magnifique pelage
gris. Le roi, désireux d’ajouter une si belle pièce à son tableau de chasse, se
lança à ses trousses avec une telle ardeur qu’il laissa loin derrière lui ses
compagnons et se perdit dans le bois. Quand on finit par le retrouver, il était
allongé par terre et répétait indéfiniment ces mots : « La croix, la
croix... » Il fut immédiatement transporté à Paris. Il pouvait à peine
parler, mais avait pourtant demandé qu’on l’emmenât dans son cher château de
Fontainebleau où il était né. Les médecins qui l’examinèrent trouvèrent une
bosse à l’arrière du crâne sans doute provoquée par la chute de cheval. Le roi
mourut douze jours plus tard sans avoir recouvré la raison, n’exprimant qu’un
seul désir, boire de l’eau. Après son trépas, à la grande peur des personnes
présentes et de la Cour en général, ses yeux refusèrent de se fermer. Selon le
rapport de Reinaldo, grand inquisiteur de France qui accompagna
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