Iacobus
sortis de l’église en courant presque, non
par crainte du gardien qui à mon avis n’avait même plus la force de lever le
bras, mais pour me retirer au calme et réfléchir à ce que je venais de voir.
Je m’arrêtai à la porte de l’église de Santiago
et m’assis contre l’un de ses jambages comme un mendiant. Il y avait tant de
choses que je ne comprenais pas sur ce Chemin. Tout y était symbolique, chaque
signe représentait mille éléments possibles, et chacun était mystérieusement
lié à des lieux, des faits ou des périodes infiniment lointains ou proches dans
l’espace et le temps, ce qui ne faisait qu’augmenter leur mystère.
J’avais découvert sous la toile noire de
l’abside une des représentations les plus extraordinaires que j’eusse jamais
vues. Sur un fond universel, le corps d’un Christ en croix était cloué sur un
arbre en forme de « Y », le corps tourné vers la gauche et la tête
inclinée dans le sens opposé. Cette scène dramatique était si crue, si réaliste
que j’éprouvais un frisson chaque fois que j’y repensais. Mais il y avait plus.
Au-dessus du Christ, un aigle examinait un lointain coucher de soleil. Voilà ce
que j’avais vu et voilà ce que je devais interpréter. Si le hasard n’existe
pas, cette représentation avait été placée là et recouverte pour une raison
particulière.
J’ébauchai diverses hypothèses. Mais il n’est
jamais bon de se presser et de tirer des conclusions hâtives. Aussi repris-je
un à un les éléments dont je disposais : j’avais un peintre allemand,
Jehan Oliver, qui avait laissé une oeuvre inachevée ; j’avais des tableaux
qui seraient bientôt remplacés par un crucifix semblable à celui de la fresque
murale ; et j’avais une fresque extraordinaire cachée par une toile sombre
qui empêchait sa contemplation. Je passai ensuite aux symboles : une
crucifixion sans croix – j’avais trouvé la même allusion sur l’un des
chapiteaux d’Eunate – puisque l’arbre en forme de « Y » avec ce tronc
d’où sortaient les deux rameaux supérieurs au niveau de l’estomac du Christ
n’était pas une croix mais une représentation connue de la Patte d’Oie, signe
de reconnaissance des confréries secrètes des maîtres d’oeuvre initiés,
exécuteurs, comme Salomon en son Temple, des principes sacrés de l’architecture
transcendantale. Un aigle majestueux, symbole d’illumination, qui pouvait
représenter autant la lumière solaire que saint Jean l’Évangéliste. Et enfin un
magnifique crépuscule, préfiguration de la mort mystique qui convertit l’initié
en fils de la Terre et du Ciel.
Bien. Quelles conclusions pouvais-je tirer de
tous ces éléments ? Avaient-ils seulement un lien ? Ou bien leur
relation était-elle si ténue que son insignifiance même m’empêchait de
l’appréhender ? Il était aussi possible, me dis-je désespéré, que le lien
soit si recherché et compliqué que, sans une clé particulière, il fût
impossible de débrouiller cet embrouillamini. À tout cela s’ajoutait le
chapiteau d’Eunate avec son interprétation erronée de l’Évangile qui concordait
pourtant avec la fresque. Mon aveuglement m’exaspérait. Je m’obstinais à
chercher des combinaisons possibles de symboles, d’affinités alors qu’il me
manquait peut-être un élément essentiel ou que je me trompais de procédure...
La vérité c’est que je n’arrivais à trouver aucune logique.
Mes longues années d’étude m’avaient appris
qu’un bon kabbaliste ne se rend jamais face aux obstacles qui se présentent à
lui. Il doit au contraire accepter ces difficultés car elles font partie de
l’apprentissage, il se trouvera alors dans l’état d’esprit adéquat pour
percevoir ce qui doit être changé.
Des bruits de sabots me tirèrent de mes
réflexions. Et alors que j’étais demeuré assis la tête entre les épaules et le
regard baissé, je vis apparaître devant moi deux longues jambes. La voix
offensée de Jonas qui me dominait du haut de son cheval me ramena à la
réalité :
— Il y a plus d’une heure que nous vous
attendons à l’auberge, père ! Eh bien, nous pouvions toujours le
faire !
— Depuis combien de temps suis-je
ici ? dis-je en me levant avec peine, m’appuyant contre la colonne du
portique.
— Ici même, je l’ignore, m’expliqua
Personne en se penchant légèrement pour m’offrir les rênes de mon coursier.
Mais votre absence a duré plus
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