Iacobus
entendre.
— Jonas ! m’écriai-je, retourne à San
Millan del Yuso et trouve-nous un logis pour ce soir ! Peu importe le
prix ! Et emmène Sara avec toi !
Je sortis en courant comme un damné à la
recherche de pierres ou de branches qui pourraient me servir de maillet et de
ciseau, outils dont j’allais avoir besoin cette nuit pour démolir le mur de la
tombe où la pauvre enfant dont je commençais à douter de l’existence réelle
s’était enterrée vive. Créer des légendes, modifier des faits, bâtir des vies
de saints ou bénir de fausses reliques étaient une coutume invétérée de
l’Église de Rome.
— Vous avez enfin trouvé quelque chose,
n’est-ce pas ?
La voix me fit sursauter. Je me tournai pour me
retrouver face à face avec le comte Geoffroy du Mans. Sa mine patibulaire
m’impressionna de nouveau. En dépit de l’élégance de sa tenue, sa corpulence,
son front protubérant lui conféraient un caractère très nettement criminel.
— Dans la tombe de santa Oria, n’est-ce
pas ? continua-t-il.
Pourquoi me fâcher ? J’avais devant moi le
représentant du pape Jean XXII qui attendait avidement son or ; ce que je
découvrirais ne serait pas à moi et ne le serait jamais, alors pourquoi
m’offusquer ?
— En effet, rétorquai-je de mauvaise grâce,
dans la tombe de santa Oria. Il n’y a qu’à abattre le mur qui la recouvre. Je
pense que ce que vous cherchez est enterré sous le sol ou derrière une des
parois. Ce ne devrait pas être trop difficile de le sortir.
— J’en fais mon affaire. Votre tâche
s’arrête là. Continuez votre voyage.
— Vous vous trompez, comte !
m’exclamai-je, fou de rage. Je n’ai pas du tout terminé. Ce que vous trouverez
dans la tombe de santa Oria n’est qu’une infime partie des richesses qui ont
été cachées tout au long du chemin. Et il peut y avoir ici un indice qui m’aide
à poursuivre mon enquête. Sachez que vous trouverez sans doute encore plus d’or
dans la cathédrale de Jaca. Envoyez un émissaire là-bas. Dites-lui de se rendre
dans la chapelle de santa Orosia. Vous découvrirez probablement la première
cache des Templiers, de ce côté des Pyrénées, derrière le mur où figure une
petite statue de vierge assise qui porte une croix en forme de Tau. Mais en
retour je veux un récit détaillé de tout ce que vous aurez découvert.
Le comte me regarda d’un air impassible et finit
par acquiescer d’un hochement de tête. Il était sans doute habitué à accomplir
des tâches routinières, et non à traiter avec des hommes comme moi, mais j’en
étais arrivé à le détester au point de le considérer désormais comme mon ennemi
personnel.
— Ni la femme ni l’enfant ne pourront être
là. Et vous non plus.
— Très bien, répondis-je.
Et, lui tournant le dos, je quittai l’église.
Puisque le comte voulait se charger de toutes les tâches pénibles que
l’ouverture de la tombe ne manquerait pas d’occasionner, je ne pensais pas
bouger le petit doigt pour l’aider. Au fond, il avait raison. Ma seule
obligation était de trouver le trésor. Tout le reste relevait de sa seule
compétence.
Jonas et Sara m’attendaient à l’auberge du
village, assis près du feu avec un groupe de pèlerins bretons. En me voyant,
mon fils se leva d’un bond. Un geste discret de Sara l’arrêta dans son élan. De
nouveau, je réalisai combien cette femme était admirable. Elle ne savait rien
de ce que j’étais en train de faire, mais sans poser aucune question, sans
essayer de soutirer une quelconque information, elle acceptait tranquillement
la situation et sa part de mystère tout en surveillant le tempérament fougueux
de Jonas comme si elle avait deviné que nous étions observés.
Je m’assis près d’eux sans rien dire et
conversai avec les Bretons jusqu’à l’heure du dîner tout en buvant un vin
excellent qu’ils faisaient passer de main en main dans une outre en peau de
chevreau. Les moines nous servirent une soupe épaisse faite d’oignons et de
courges accompagnée de morceaux de lard secs et de miches de pain.
À la tombée de la nuit, alors que nos compagnons
s’étaient retirés pour se reposer, je repris le chemin du monastère de Suso
pour retrouver le comte. L’obscurité rendait sinistre ce petit bois qui
semblait tout à l’heure si calme et agréable. Mes pas crissaient sur les
feuilles, et j’entendais sur les hautes branches des arbres hululer les hiboux
et siffler les
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