Iacobus
vingt-cinq poèmes consacrés à l’intercession miraculeuse de la
Vierge. Mais il était aussi l’auteur d’oeuvres plus connues comme le Poème
de Santa Oria, compagne spirituelle de san Millan, ou La
Vie de santo Domingo de Silos. Il devait sa renommée au fait
d’avoir été le premier à rédiger ses textes en langue vulgaire et non en latin.
On accédait à la tombe de san Millan, d’un
albâtre noir magnifiquement taillé, par une galerie de sépulcres face à
l’entrée de l’église. La nef était coupée en deux par un curieux système d’arcs
qui ouvraient sur deux chapelles jumelles.
Mais là ne se terminaient pas les belles
sépultures que contenait ce lieu. Un escalier de bois situé près de l’abside
permettait de rejoindre la partie primitive du monastère formée par les murets
des cryptes où s’enterraient à vie les premiers moines de cet étrange
monastère. L’une d’elles, couverte de fleurs fraîches, attira mon attention.
— À qui appartient cette cellule ?
demandai-je à un bénédictin qui passait par là.
— C’est là où s’est emmurée santa Oria, patronne,
avec san Millan, de ce lieu sacré.
— Comment s’est-elle emmurée ? voulut
savoir la pauvre Sara peu habituée aux pénitences et martyres chrétiens.
Le moine fit comme s’il ne l’avait pas entendue
ou vue et s’adressa à moi pour nous expliquer l’histoire de cette sainte qui
était arrivée à Suso en 1052 à l’âge de neuf ans accompagnée de sa mère doña
Amuna. Elle entendit très tôt l’appel du Seigneur et voulut consacrer sa vie à
l’oraison et la pénitence. Mais son souhait fut rejeté : c’était un monastère
d’hommes, et on était peu accoutumé alors à voir des femmes adopter la vie des
anachorètes. En dépit de ses supplications et pleurs, on refusa d’admettre
Oria, aussi l’enfant décida-t-elle de s’emmurer à vie dans une cellule proche
de l’église où sa présence ne perturberait pas les moines. La seule chose que
ces derniers firent pour elle fut de consentir à la nourrir à travers un
minuscule soupirail pendant vingt ans, le temps qu’elle mit à mourir.
— C’est l’histoire la plus horrible que
j’aie entendu de toute ma vie, s’exclama Sara, atterrée, après que le
bénédictin eut disparu, l’air très satisfait. Je ne peux pas croire qu’une
fillette de neuf ans exige d’être emmurée jusqu’à sa mort ! Sa mère a dû
l’y contraindre d’une façon ou d’une autre.
— Peu importe, le résultat est le
même : elle s’est emmurée vivante, murmurai-je en regardant fixement le
mur qui fermait la cellule.
Un mur solide de pierres unies avec du
mortier... Était-ce mon imagination ou... ? Je traçai lentement un
demi-cercle autour du mur, persuadé d’être l’objet d’une hallucination.
— On peut savoir ce que vous faites ?
me demanda Sara d’un ton froid.
Je la regardai sans lui répondre, pris d’une
soudaine excitation.
— Venez là tous les deux ! Mettez-vous
là, et regardez bien. Vous ne voyez pas quelque chose ?
Elle n’était visible que sous un certain angle
lorsque la lumière frappait dessus. Une légère variation d’un côté ou de
l’autre provoquait sa disparition... Une croix en forme de Tau se dessinait sur
le mur qui fermait la cellule de santa Oria. Sara avait beau regarder d’un air
très concentré, elle ne voyait rien.
— Le Tau ! Encore un ! s’exclama
Jonas, triomphant.
— Comment ça « encore » ? dis-je,
surpris.
— Vous m’avez bien dit que vous en aviez
trouvé un autre à Jaca, non ?
« Un autre... un autre... Ces mots
résonnèrent comme l’écho dans une grotte profonde. Un autre Tau... Mais oui, à
Jaca, dans la chapelle de santa Orosia. Santa Oriosa... Oriosa... Oria... Santa
Oria. Non, c’était impossible ! C’était trop beau ! La déformation
des prénoms de ces deux saintes m’avait trompé. Et pourtant tous deux
comportaient la diphtongue latine « au » qui s’était transformée en
« o ». « Au » comme dans Aureus :
« Or ». Oria venait de Aurea qui signifie
« d’or » et Oriosa, de Aureosa, « de la
couleur de l’or ». Oria et Oriosa étaient toutes deux signalées par leurs
Taus respectifs. Tau Aureus comme l’indiquait le message de
Manrique de Mendoza à son compagnon Evrard, « Le signe de l’or ».
Voilà ce que les deux lions du tympan de la cathédrale de Jaca rugissaient à
qui savait les
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