Il fut un jour à Gorée
du bétail humain dans les plantations de cannes à sucre était si pénible que le nombre des morts, parmi les esclaves, dépassait celui des naissances. Ce n’était pas très grave, puisque l’Afrique pouvait toujours fournir de nouvelles forces, pensaient les négriers.
Au début, les planteurs avaient cru pouvoir utiliser les Indiens d’Amérique. Mais cette expérience s’arrêta rapidement. D’abord, les Indiens succombaient en masse aux microbes apportés par les Européens.
Ensuite, les colons préféraient massacrer ces populations locales afin de s’emparer de leurs terres.
On pensa ensuite à faire venir des Blancs très pauvres qui accepteraient de venir travailler durant sept années. En paiement, à la fin de leur engagement, et s’ils avaient la chance de ne pas succomber au climat, ils recevraient une petite propriété. Cette tentative ne réussit pas mieux. Les volontaires étaient rares, et ceux qui s’aventuraient dans cette entreprise hasardeuse ne survivaient pas longtemps.
Finalement, la traite négrière fut unanimement considérée comme la meilleure solution. D’un point de vue économique, bien sûr. Les Africains, habitués aux climats des tropiques, résistaient mieux aux chaleurs étouffantes. De plus, il n’y avait pas vraiment à se soucier de leur endurance, puisque « l’approvisionnement » était renouvelable à l’infini…
Dès lors, les Amériques devinrent vraiment, pour les planteurs, l’Eldorado de la légende. Le pays de l’or ! En effet, on pouvait faire fortune en exploitant les denrées réclamées par l’Europe.
En 1769, l’écrivain français Bernardin de Saint-Pierre a mis très justement en parallèle l’anéantissement des Indiens d’Amérique et la traite des Noirs : « Je ne sais pas si le café et le sucre sont nécessaires au bonheur de l’Europe, mais je sais bien que ces deux végétaux ont fait le malheur de deux parties du monde. On a dépeuplé l’Amérique afin d’avoir une terre pour les planter ; on dépeuple l’Afrique afin d’avoir une nation pour les cultiver. »
En m’écoutant, Birago trouve soudain que ses friandises sucrées ont un goût amer. Toi aussi quand, demain matin, tu boiras ton cacao sucré, pense aux douleurs infinies que ce simple geste provoquait autrefois.
Il y a deux cents ans, les amateurs de café ou de cacao aimaient à se réunir dans des salons élégants. Ils buvaient leur boisson préférée en l’agrémentant d’un peu de sucre… Ils parlaient politique et littérature, ils évoquaient la dernière pièce de théâtre, celle de Corneille ou celle de Molière, mais avaient-ils seulement une pensée pour le bétail humain qui mourait de l’autre côté du globe afin de leur offrir cet instant délicat ? Bien peu y songeaient, en vérité. C’était ainsi que la Terre tournait.
« Ne pouvait-on pas se passer de sucre ? » me demande la petite Élisabeth.
Non seulement on ne voulait pas s’en priver, mais la demande était plus grande chaque année. Tiens, voilà encore des chiffres : en 1650, 30 000 tonnes de sucre furent expédiées des Amériques vers l’Europe. Cette quantité te paraît énorme ? Eh bien, deux cents ans plus tard, 900 000 tonnes étaient envoyées chaque année vers les pays européens ! Pour tenir le rythme de la production, les planteurs avaient besoin de toujours plus d’esclaves.
Et puisque nous sommes dans les chiffres restons-y. En 1789, il y avait à Saint-Domingue 452 000 esclaves pour 40 000 Blancs. À la même époque, en Martinique, 15 000 Blancs vivaient sur le travail de 83 400 Noirs.
On ne pourra jamais mesurer à quel point la traite négrière a appauvri l’Afrique. Non seulement elle lui a volé ses fils, mais, en engageant certaines ethnies à capturer leurs propres frères africains pour les vendre aux Blancs, elle a encouragé les peuples noirs à se dresser les uns contre les autres. Elle a ainsi jeté pour longtemps le continent dans la misère, le sous-développement et les guerres tribales.
En revanche, on sait combien cette traite a enrichi l’Europe. Et pas seulement les planteurs. Chacun y trouvait son compte. Les propriétaires des bateaux amassaient des fortunes. Les fabricants de navires se frottaient les mains devant des carnets de commandes bien remplis. Les ouvriers, charpentiers, verriers ou fondeurs de métal trouvaient facilement du travail. Les commerçants qui vendaient le fameux sucre, mais aussi
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