Il neigeait
couvert dont le corps,
gelé raide, tombait dans la neige. Paulin frissonnait et rouspétait :
« Je vous retrouve enfin, Monsieur, après de bien pénibles journées et des
nuits affreuses, et voilà que je dois vous perdre ! » Le capitaine
prit son valet de chambre par le poignet, l’emmena de fourgon en fourgon pour
le placer mais personne ne voulait de lui. À ce moment, des administrateurs et
des secrétaires descendirent un perron pour se tasser dans des calèches
capotées. Sébastien faisait partie de l’expédition nocturne ; comme il
passait sous le falot d’un équipage, le capitaine le vit et l’appela, arrangea
l’affaire, et Paulin, cette fois, trouva une place assise. Serré entre les
commis, il s’endormit avant le départ. Parce que dans son sommeil il
bredouillait des phrases, il amusa les autres voyageurs en prononçant d’un ton
impérieux : « Cocher, à Rouen ! »
Les hommes d’Oudinot, convertis en charpentiers, démontaient
les isbas de Studenka jusqu’aux berges du fleuve. Avec des solives et des
portes, d’Herbigny et ses dragons assemblaient deux radeaux. Quatre cents
tirailleurs allaient prendre position sur l’autre rive où, dans des bois clairsemés,
ils avaient repéré des Russes à leurs chapeaux ronds à croix jaune sur le
devant. Il fallait protéger la construction des ponts. Des cavaliers
s’élançaient dans l’eau en soulevant des vagues, le capitaine les regardait
nager en biais, déportés par le courant ; ils écartaient de leurs lances
les glaçons coupants qui percutaient leurs montures et les blessaient aux
flancs. À cet exercice, quelques-uns vidèrent leur selle et disparurent,
surtout vers le milieu du fleuve, plus profond, où les animaux s’immergeaient.
Les deux tiers réussirent à gagner la rive d’en face, les sabots enfonçaient
dans la vase.
Les radeaux terminés, grâce aux cordages apportés par un
officier du génie, ils furent poussés dans l’eau et des tirailleurs d’Oudinot y
grimpèrent. Ils s’assirent sur les poutres, la navigation promettait d’être
instable. D’Herbigny monta sur le premier radeau avec trois de ses dragons. Ils
passeraient ainsi, par groupes, craignant sans cesse qu’un glaçon plus gros ou
plus tranchant ne les renverse. Ils sont partis. Ils rament avec les crosses
des fusils pour contrer le courant, mais l’embarcation dévie quand même ;
d’Herbigny et des tirailleurs, baïonnettes dans l’eau, repoussent autant qu’ils
le peuvent les blocs de glace qui courent vers eux. L’un de ces blocs, dérouté,
se cache sous le plancher du radeau et le secoue, le tourne comme sur un pivot.
Les hommes se couchent à plat ventre, ils se retiennent aux nœuds des cordages,
reçoivent des paquets d’eau en pleine figure, tiennent bon, finissent par heurter
la rive, cherchent à s’y amarrer, envoient des filins aux cavaliers déjà passés
qui aident à les tirer. Le second radeau touche terre plus loin en aval. Il n’y
a pas eu de mort mais déjà, avec des rameurs, les embarcations malmenées
repartent à Studenka. Le capitaine s’interroge :
— Jamais les voitures ni les canons ne pourront rouler
dans ce marécage !
— Faudrait prolonger les ponts, lui répond un
sous-officier.
— Nous n’aurons pas assez de bois.
— Et la forêt ? Les branches d’arbre, on les
cassera, on les posera sur la boue pour que les roues n’enfoncent pas.
Des coups de feu claquent. Des balles s’écrasent autour
d’eux dans la fange. Le capitaine lève le nez, distingue deux Russes à l’abri
d’un bosquet. Il jure, s’emporte, pousse l’un des lanciers descendu assister au
débarquement, lui emprunte son cheval, l’enfourche, sans pouvoir chausser les
étriers à cause de ses chiffons aux bottes ; il force le cheval vers le
bosquet. Deux Russes courent devant lui ; ils n’ont pas eu le temps de
recharger. Il en rejoint un, l’accroche par sa buffleterie, le lève d’un bras,
le traîne comme un colis, le ramène, essoufflé mais joyeux de sa prise
effondrée dans la vase.
— Ce cochon sait des choses que Sa Majesté sera
heureuse d’entendre !
L’Empereur arrivait justement sur la rive gauche qui se
peuplait. Il chevauchait à côté du maréchal Oudinot, duc de Reggio, rude mais
avide, trente fois blessé et trente fois recousu. D’Herbigny vit les canons des
troupes fraîchement arrivées de Lituanie, qui montaient couronner une butte
pour garantir Studenka. Il discerna la
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