Jack Nicholson

irrésistible. Jamais John Huston n’eut de meilleur rôle que celui de Noah Cross, dont la voix mielleuse et le poing serré semblaient avant tout évoquer sa propre personnalité. Son jeu paraît révéler la propre corruption de son âme. Rares sont les gens qui ont réussi à éclipser Nicholson, mais John Huston l’a fait, de façon grandiose, dans Chinatown. Les scènes entre Nicholson et Huston, avec toutes les interconnexions de la vraie vie, font partie des grands moments du film. Le « secret » de la star est évoqué à demi-mot quand Cross interroge Gittes sur la relation sexuelle qu’il entretient avec Evelyn Mulwray :
    Vous couchez avec elle ? Allez, allez, Mr Gittes – vous n’avez pas besoin de réfléchir pour vous en souvenir, n’est-ce pas ?
    « Je venais juste de me mettre avec la fille de Huston, chose que le reste du monde devait certainement ignorer, déclara Nicholson à un journaliste du New York Times quelques années plus tard, mais qui a dû alimenter la réalité de chacun des instants de ma scène avec lui. » Polanski a expliqué que le jour du tournage de cette scène correspondit à l’une des rares visites d’Anjelica Huston sur le plateau de Chinatown. Après avoir entendu les dialogues, la fille de Huston, d’après Polanski, tourna les talons et s’éclipsa discrètement. « Elle en a ri, après, explique Polanski, et elle m’a dit qu’elle avait été un peu gênée. »
    Bien vite, le reste du monde fut mis au courant de la relation. Les journalistes, qui aimaient traquer les aventures amoureuses de Nicholson, trouvaient à sa liaison avec Anjelica un aspect très savoureux. À la ville comme à l’écran, Hollywood adore les histoires d’amour de contes de fées, en particulier celles qui unissent un prince et une princesse du royaume, un Douglas Fairbanks et une Mary Pickford, un Gable et une Lombard, un Bogart et une Bacall.
    Chinatown fut suivi, en 1974, par un bouillonnement d’activité. Une apparition en invité vedette dans la comédie musicale Tommy  ; un premier rôle partagé avec Warren Beatty ; et les préparatifs et la pré-production de Vol au-dessus d’un nid de coucou.
    Au début de l’année, Nicholson accepta de jouer un petit rôle dans Tommy, l’adaptation cinématographique très médiatisée de l’opéra rock du quartet britannique adepte des accords de puissance, les Who. Nicholson avait des goûts musicaux éclectiques, qui évoluaient en accord avec les étapes de sa vie et qui s’étendaient de Sinatra à Dylan ; il était un très grand amateur de rock and roll, et comme Psych-Out, Head, Tommy, et même dans une certaine mesure Batman et ses accents de Prince le démontrent, il aimait faire de temps en temps un « film avec fond sonore ».
    Le réalisateur de Tommy, Ken Russell, disait que le magnum opus du songwriter et premier guitariste des Who Peter Townshend, contant l’histoire d’un génie du flipper sourd, aveugle et muet qui devient un gourou totalitaire, était « la plus grande œuvre d’art du vingtième siècle ». La réputation de Russell avait alors atteint son apogée, s’appuyant sur des films controversés tels que l’adaptation de D.H. Lawrence, Love, qui avait attiré les foules avec une époustouflante scène de lutte nue où tous les coups étaient permis.
    Le réalisateur avait rassemblé un pot-pourri d’acteurs et d’éminentes personnalités du rock, notamment Roger Daltrey, le principal chanteur des Who (dans le rôle de Tommy), Ann-Margret (la mère de Tommy, Nora Walker), Oliver Reed (Frank Hobbs), Elton John (Le Pinball Wizard), Eric Clapton (Le Personnage bizarre), Keith Moon, le batteur des Who (Oncle Ernie), et Tina Turner (L’ Acid Queen ).
    Le nom de Peter Sellers avait souvent été cité pour le petit rôle du docteur, avant que le réalisateur ne pense à Nicholson. Dans sa courte scène, Nicholson retrouverait sa partenaire de Ce plaisir qu’on dit charnel, Ann-Margret, un plus pour la promotion du film. Pour un unique jour de travail à Londres, Jack se vit proposer la somme de 75 000 dollars.
    « Les films de Russell m’intriguent, déclara Nicholson pour expliquer son engagement. Il y en a que j’aime beaucoup, et d’autres pas du tout, et j’ai envie de savoir ce qui le pousse. »
    Jugé sur des critères conventionnels, Tommy passait pour un film bien étrange, mais pour le réalisateur, Russell, c’était quelque chose de tout à fait normal. Le regard