Jack Nicholson

Welles pour le premier rôle, celui du sénateur texan qui quittait sa femme pour un homme. Welles et Nicholson étaient dans une sorte de relation père-fils joviale. « Orson disait que Jack était la seule véritable star du cinéma d’aujourd’hui, commente Jaglom, le seul acteur plus vrai que nature. »
    Il y eut des dîners et des discussions, mais Welles et Jaglom furent déçus. Ils n’arrivaient pas à obtenir un oui définitif de Nicholson. Les raisons évoquées étaient toujours très floues (peut-être était-ce le sujet de l’homosexualité qui déconcertait cet acteur qui aimait mettre en avant sa virilité), mais l’obstacle principal restait l’argent. Brady écrit dans son ouvrage que Nicholson refusa de diminuer « son cachet, de crainte que les gens du milieu ne pensent qu’il avait réduit son amour propre ». Orson Welles ne pouvait pas s’offrir Jack Nicholson. Welles, qui mourut en 1985, ne termina jamais d’autres films en qualité de réalisateur.
    Roman Polanski faisait lui aussi partie de ces personnes qui, du fait des liens très amicaux qu’elles entretenaient avec Nicholson, s’imaginaient que faire un autre film avec l’acteur serait chose facile. Le réalisateur pensait que Nicholson lui devait le bénéfice du doute car «  Chinatown avait non seulement amélioré ses propres perspectives d’avenir, mais aussi fait de Jack une star », comme il l’écrivit, plutôt à son avantage, dans son autobiographie.
    Peu de temps après Chinatown, Polanski présenta à Nicholson un film de cape et d’épée intitulé Pirates qu’il avait coécrit avec Gerald Brach. Nicholson devait jouer un « farouche mais sympathique personnage », un pirate nommé Capitaine Red, tandis que Polanski, qui était lui-même un acteur très doué, devait interpréter son « très patient lieutenant », la Grenouille.
    La Paramount donna provisoirement le feu vert au projet. Il restait plusieurs questions à régler – où le film serait-il tourné ? Qui contrôlerait les droits étrangers ? Mais la question la plus difficile à régler était Nicholson. Alors que l’acteur se disait intéressé, son agent se focalisait sur chacun des termes de son contrat de plus d’un million de dollars. En partie à cause de ses exigences grandissantes, le budget monta en flèche, et quand il eut atteint les 14 millions de dollars, les cadres de la Paramount décrétèrent qu’ils « en avaient assez de la façon dont Jack ne cessait de faire gonfler son cachet », d’après les mots de Polanski, et mirent un terme au projet.
    Pirates passa à United Artists. La pré-production recommença et les coûts furent examinés et revus à la baisse. Et ce fut au tour d’ UA d’être pris par surprise : Nicholson continua de négocier pour obtenir un cachet plus élevé. On finit par atteindre le million et demi de dollars. Désespéré, le producteur de Polanski alla trouver Nicholson pour lui demander combien il voulait vraiment et sur quel montant accepterait-il d’arrêter les négociations. « La réponse de Jack fut brutalement succincte : J’en veux plus », écrit Polanski dans son autobiographie.
    Comme UA hésitait à laisser Polanski, qui n’avait pas une grande image de marque en tant qu’acteur, jouer un rôle important dans son propre film, le réalisateur eut l’idée d’embaucher un acteur du même statut que Nicholson, et par conséquent, de doubler le plaisir de tous. « J’essayai donc d’embaucher Dustin Hoffman pour le rôle de la Grenouille, mais celui-ci refusa de jouer les bouche-trous (après Nicholson) », écrit Polanski.
    Vint alors le coup de grâce : « L’agent de Jack Nicholson demanda – en plus de son cachet de 1,5 million de dollars – 50 000 dollars pour chaque jour que son client passerait sur le plateau une fois la date originelle de fin de tournage passée. »
    Polanski leva les mains au ciel. Il quitta les États-Unis pour l’Europe. Il faudrait attendre dix ans pour qu’il tourne enfin Pirates – avec le très improbable Walter Matthau dans le rôle conçu à l’origine pour Jack Nicholson.
    L’époque des films avec les amis et les membres de la famille de substitution, sans souci de compensations, d’avantages ou de droits annexes, était bien loin. La position de négociateur de Jack rendait improbable, en des termes purement financiers, tout futur film associant Dustin Hoffman et Nicholson, de même que tout nouveau film