Jack Nicholson

tellement étonnés et surpris qu’ils en restèrent bouche bée puis se mirent à exagérer de façon ridicule l’importance de leurs expériences professionnelles.
    Roger Corman faisait partie des rares puissants sur lesquels ils pouvaient compter pour les accueillir à bras ouverts avec un sourire enjoué. Corman commençait à mettre en place son entreprise de production de films à petit budget. S’il ne semblait pas pressé de confier un nouveau rôle à Jack, l’acteur et ses amis étaient les bienvenus sur ses plateaux. Les jeunes gens portaient les lumières ou accomplissaient d’autres petites tâches, ce qui leur donnait l’occasion d’observer les productions mouvementées et bon marché de Corman de l’intérieur. D’après Corman, Jack et John Herman Shaner auraient même posé pour des affiches publicitaires – notamment de The T-Bird Gang  – et ce malgré le fait qu’ils n’avaient pas joué dans les films.
    Les membres de la petite bande avaient beau être fauchés, ils trouvaient toujours de l’argent pour aller au cinéma. Cette activité représentait un mélange parfait de travail et de divertissement. Jack et ses amis pouvaient voir tous les films qu’ils voulaient sans se compromettre. Ils potassaient. Ils étaient en train de devenir la première génération de « cinéphiles », terme qui n’existait même pas à cette époque.
    Ils ne reconnaissaient que très peu de héros. James Dean n’en faisait pas vraiment partie, car malgré son talent, il était vu comme un dérivé de Brando. Pour la génération de Jack, Brando surplombait toutes les autres personnalités contemporaines. Le jeu de Brando était irréprochable, même si ce n’était pas toujours le cas des films dans lesquels il apparaissait.
    Mais, déjà à cette époque, les membres du cercle d’amis de Jack étaient gênés par l’indifférence que semblait afficher Brando à l’égard de son talent. Quand, au début des années 1960, Brando écrivit une lettre moqueuse au bulletin d’information de la Screen Actors Guild dans laquelle il laissait entendre que le métier d’acteur n’était pas viril, John Herman Shaner rédigea une lettre de réfutation saignante et bien argumentée. Nicholson, qui croyait en la dignité de la profession de comédien (et qui avait besoin de croire que le métier d’acteur était un métier viril), appela Shaner pour le complimenter au sujet de sa lettre.
    Leurs autres champions étaient les jeunes Européens qui venaient tout juste d’être découverts par le public américain. Ceux de la «  nouvelle vague » française – Truffaut, Godard, Chabrol, Rohmer, Alain Resnais –, ainsi que le Suédois Bergman et les Italiens Fellini et Antonioni. Ces cinéastes étaient en train de révolutionner le monde du cinéma.
    Jack et ses amis discutaient de ces films révolutionnaires. Que signifiaient les obscures œuvres d’Antonioni ? Ils rêvaient de tourner dans des films aussi innovateurs et se demandaient ce que cela pouvait faire de travailler avec l’un de ces maîtres étrangers. Ne serait-ce pas quelque chose de jouer un jour dans un film d’Antonioni ?
    Certains membres du cercle, convaincus de la supériorité de la scène sur le grand écran, essayèrent d’ouvrir un théâtre.
    Jack et ses amis rassemblèrent leurs économies et fondèrent le Store Theatre dans un entrepôt décrépit situé entre Fernwood et Sunset en face d’une église russe orthodoxe et d’un studio de photographies. Nicholson, John Herman Shaner, B.J. Merholz, Luana Anders, Sally Kellerman, Carole Eastman, Maila Numi, Leonard Nimoy et quelques autres organisèrent un cocktail dans le but de collecter des fonds pour lancer un répertoire de pièces. Quand ils s’aperçurent qu’ils n’avaient pas assez d’argent, aime à se vanter Nicholson, ils eurent recours au vol.
    « On allait voler des morceaux de bois dans des scieries la nuit, se souvient Nicholson. Et on a aussi piqué des toilettes dans des stations-service. Les lumières, les planches, il n’y avait que du matériel qui avait été volé, d’une façon ou d’une autre. »
    John Herman Shaner fut désigné comme producteur et Nicholson comme producteur associé. Leur première pièce fut The Three Toed Pony de Sidney Michaels, jeune dramaturge prometteur qui deviendrait co-scénariste de The Night They Raided Minsky’s. Mais le Store Theatre générait trop de travail et trop peu d’argent, et au bout du