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Je n'aurai pas le temps

Je n'aurai pas le temps

Titel: Je n'aurai pas le temps Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Hubert Reeves
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l’origine des éléments chimiques (voir annexe 1).
    Grâce à Bappu, j’ai pu, au cours de longues conversations, assouvir ma curiosité sur les traditions de l’Inde, dont je n’avais que de vagues notions, bien déformées par nos enseignants. Leurs adeptes, nous disaient-ils, n’ont pas eu, comme nous, la chance d’entendre le message du Christ, que nos missionnaires s’emploient à leur délivrer.
    Dans les paroles de cet Indien, ces traditions m’arrivent dans leur version originale. L’intégration du corps et de l’esprit dans la perception de l’Univers me paraît d’une grande sagesse, dénuée de la composante de culpabilité si lourde dans les enseignements chrétiens. Au travers de nos discussions, je découvre l’état d’isolement intellectuel et religieux du Québec de cette époque, un ghetto protégé par des structures cléricales comparables à celles du Portugal, de l’Espagne et de l’Irlande d’alors.
    Vivre avec les chercheurs
    Visitant un jour les salles d’accueil de l’observatoire, je pénètre dans un salon joliment éclairé. Les fenêtres paréesde rideaux verts ouvrent sur une vallée entourée de conifères raides et sombres. Un chercheur allemand écoute avec recueillement le Quatorzième Quatuor de Beethoven, une œuvre que je placerais volontiers au sommet de mon palmarès musical. Sans qu’un mot n’ait été prononcé, je sens une communion de sensibilité avec cet homme, sentiment qui allait s’affirmer par la suite lors de nos conversations. Je réalise alors à quel point la musique peut effacer les barrières ethniques et culturelles. Il s’intéresse beaucoup à la philosophie et me parle de John Dewey, penseur américain très mal vu de nos bons Pères jésuites et taxé d’athéisme militant. Mon nouvel interlocuteur est un esprit ouvert, sans une ombre de sectarisme. J’entre avec lui dans un mode élargi de pensée où les certitudes laissent place aux questions, où les interrogations ne trouvent pas immédiatement et automatiquement des réponses définitives.
    Mais tous les scientifiques d’Agassiz n’ont pas la même largesse de vue. Je me souviens en particulier d’un technicien américain bien connu à la cafétéria pour ses diatribes enflammées contre les « diables soviétiques ». La nuit que mon programme m’amène à passer avec lui et son équipe, il porte un T-shirt sur lequel les mots « Nuke the Reds » (« Atomisez les Rouges ») sont imprimés. Un peu moqueur, je lui dis : « Vous ne souhaitez pas vraiment lancer des bombes atomiques contre les communistes ? » Que n’avais-je pas dit là ! Rouge de colère, il me fusille du regard et hurle à mes oreilles : « Jeune homme, si c’est ainsi que vous pensez, vous feriez mieux de déguerpir d’ici. Je ne tolère aucun sympathisant communiste près de moi. » Tremblant, je sors de la coupole pour raconter cette histoire à mes amis, qui me rassurent : « Ne faites pas attention à ses paroles, il est un peu spécial, mais c’est un très bon technicien. »
    Dormir le jour, retrouver les chercheurs à la nuit tombante pour reprendre le travail, ce rythme me plaît de plusen plus. Dans la pénombre des salles de café, une intimité se crée spontanément entre les membres des différentes équipes. Les conversations s’installent, entrecoupées seulement par les interventions auprès des télescopes dont les moteurs ronflent et claquent dans la nuit étoilée. Le toit d’un des bâtiments d’observation est plat. Nous y montons un soir alors que les aurores boréales empêchent toute observation. Aux accents de la guitare de Diego, un astronome espagnol qui séjourne à l’observatoire, nous admirons les illuminations rouges et vertes que la coupole mise en rotation fait tourner au-dessus de nos têtes.
    Et quand l’aube commence à poindre, nous allons quelquefois en groupe vers une colline d’où l’on découvre l’océan. Le ciel et la mer émergent lentement de la nuit. La fiancée de Diego nous chante des ballades irlandaises qu’il accompagne à la guitare, pendant que le disque solaire se hisse au-dessus de l’horizon. Ces merveilleux moments me sont revenus en mémoire quelques années plus tard en regardant le film Orfeu Negro .

    Gilles Tremblay et le monde des musiciens
    Mon séjour à l’observatoire terminé, je me rends à la Marlboro School of Music, dans un petit village du Vermont, et j’y retrouve un ami musicien, Gilles

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