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Je n'aurai pas le temps

Je n'aurai pas le temps

Titel: Je n'aurai pas le temps Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Hubert Reeves
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Tremblay, en stage pour l’été. Cette école, de haute réputation, avait été installée dans une ferme pendant la guerre par plusieurs musiciens, tous réfugiés politiques victimes du nazisme, parmi lesquels Rudolf Serkin, Isaac Stern, le Quatuor Bush. Je connaissais Gilles depuis plusieurs années. Nous avions arpenté ensemble les rives du Saguenay et du Saint-Laurent, discutant de physique et de musique. J’ai rencontré chez lui, à Montréal ou à Chicoutimi, plusieurs compositeurs ou instrumentistes de passage au Québec. Il m’a véritablement introduit dans le monde des musiciens.
    Les concerts du soir à Marlboro se donnent dans une grange, dont l’acoustique est remarquable. Je me souviens particulièrement de deux de ces soirées. Lors de la première, Gilles, au piano, accompagné d’une violoniste, joue des sonates de Mozart. Il me suffit d’y penser pour que ces airs se chantent dans ma tête. La seconde est un bal populaire où tout le monde, y compris les gens du village, est invité à valser aux mesures du Beau Danube bleu et de La Valse de l’empereur . Quelle ambiance…
    Je garderai de ce moment passé à cette école la nostalgie du monde des musiciens et l’envie de m’y replonger le plus souvent possible.
    Après la session, nous partons ensemble « sur le pouce » (en stop) visiter les chutes du Niagara, lieu dont je rêvais depuis la lecture de Chateaubriand. À l’époque, il était alors possible de passer entre la muraille de pierre et celle des eaux grondantes. C’est là que nous inventons le mot « broyannante » pour décrire ce tumulte liquide. Ce terme, qui contient à lui seul les adjectifs « bruyant », « bouillonnant » et « broyant », résume bien ce que nous inspire la puissance de ces cataractes.
    Au retour de ce petit périple, lassés d’attendre pendant des heures un véhicule accueillant, nous projetons d’acheter une voiture d’occasion à Toronto. Un garagiste propose une Packard 1927, avec un siège dans le coffre arrière, comme dans les films de la mafia de Chicago au temps de la Prohibition. Seulement, nous n’avons pas le premier dollar pour l’acheter. J’ai alors l’idée d’aller demander de l’aide à l’une de mes vieilles tantes, qui habite cette ville. Amusée par la situation, elle me prête la somme requise (50 dollars), un parapluie (la toiture fuyait de partout) et un sifflet de police (le klaxon était mort). Mais les pannes s’accumulent et il nous faut plus de trois jours pour parcourir les 600 kilomètres qui nous séparent de Montréal !

Chapitre 7
    À l’université de Montréal :
 les rayons cosmiques
    J’ avais dix ans en 1942 lorsque mes parents ont acheté une maison et que nous avons emménagé à Côtes-des-Neiges, un quartier de Montréal situé sur les flancs du Mont-Royal. Prévoyants, ils l’avaient choisie à proximité de l’université de Montréal, dans laquelle ils espéraient nous voir poursuivre nos études. Je me souviens du moment où, de la fenêtre de ma chambre, j’ai vu pour la première fois le bâtiment jaunâtre de l’université juché sur un plateau rocheux, aussi imposant qu’impressionnant, avec sa tour rigide coiffée d’une coupole orange et l’alignement de ses six avancées perpendiculaires, ailes transversales percées de larges fenêtres.
    De mon bureau face à la fenêtre, je ne perdais pas de vue l’objectif à atteindre. J’étais confiant : la marche à suivre était claire. Le but nourrissait mes énergies.
    Aujourd’hui, la maison appartient à mon fils Nicolas. Les murs résonnent à présent des voix de sa famille. J’y ai conservé ma chambre, que je retrouve à chacun de mes séjours au Québec. Dès que j’y entre, j’aime aller à la fenêtre. À chaque fois, les émotions que je ressentais lorsque j’ouvrais mes cahiers des cours de la journée reviennent, et le même plaisir m’envahit.
    En 1950, mes premiers mois à l’université de Montréal furent pénibles. Les cours de mathématiques, que j’affectionnais tant au collège, m’étaient devenus d’insupportables corvées. Je n’y comprenais plus rien. Le langage m’échappait, les raisonnements ne faisaient plus sens. Je me sentais perdu, comme exclu du monde dont j’avais tant rêvé et dans lequel mes camarades de classe semblaient à l’aise. Selon toute vraisemblance, j’allais devoir en faire mon deuil. J’envisageais de renoncer, d’avouer que j’avais atteint

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