Je n'aurai pas le temps
nucléaire, des chercheurs belges de différentes universités se réunissaient une fois par semaine, non loin de la place Louise à Bruxelles, dans un bâtiment à l’architecture austère. Je leur donnai une série de cours tout au long de l’année académique 1964-1965. Je couvris l’ensemble des connaissances d’alors sur l’origine des éléments chimiques dans l’Univers. Mes notes de préparation me servirent à la rédaction de mon premier livre, Évolution stellaire et nucléosynthèse .
Je profitai du fait que ce parterre de physiciens provenait de divers laboratoires, dont certains disposaient d’accélérateurs, pour souligner une fois de plus l’importance de mettre sur pied un programme expérimental pour mesurer les propriétés nucléaires de mon cher trio d’éléments : lithium, béryllium, bore.
Pendant mon séjour bruxellois, j’ai été invité à Heidelberg, à Bonn, à Munich, à Genève, à Florence, pour faire des conférences scientifiques sur ce même thème. Partout, je poursuivais mes démarches pour obtenir les expériences requises. Je recevais toujours la même réponse : « C’est très intéressant, mais ça prendrait trop de temps. De nombreuses années de travail pour préparer correctement les cibles seraient nécessaires avant d’avoir les premiers résultats. Pas possible, dans le contexte de compétition actuel, d’obtenir des crédits et des subventions sur une période aussi longue. »
Louvain : visite au chanoine Lemaître
L’université de Louvain m’invita à présenter mon cours sur l’évolution stellaire et la nucléosynthèse. À cette occasion, on me fit savoir que le chanoine Georges Lemaître qui y avait professé pendant de nombreuses années, mais à présent très âgé et à la retraite, souhaitait me rencontrer et me recevoir chez lui. Je prends donc rendez vous. Au jour dit, je me rends à son appartement. Une dame me fait pénétrer dans un salon sombre dont les murs sont recouverts de tapisseries anciennes. Le son d’un piano me parvient par une porte entrouverte. L’instrument se tait et le chanoine me rejoint dans la pièce. Il m’accueille avec une grande gentillesse, m’offre un verre de porto et me dit combien il m’est reconnaissant de ma visite. Je suis très impressionné de me trouver en présence de celui qu’on a appelé le « père du Big Bang ».
Je rappelle ici le rôle fondamental que Georges Lemaître a joué dans la cosmologie contemporaine. Il fut l’un des premiers à associer, vers 1930, la théorie de la relativité générale formulée en 1917 par Einstein aux observations d’Edwin Hubble sur la vitesse de déplacement des galaxies. De ce rapprochement entre théorie et observations, il a tiré le modèle de l’« atome primitif », première version de ce qui allait devenir celui du Big Bang.
Commençant par me dire combien il regrette que sa mauvaise santé ne lui ait pas permis de venir assister à mon cours, Lemaître aborde alors le sujet qui le préoccupe, dit-il, depuis longtemps : « J’aimerais avoir votre avis sur ces théories de Fred Hoyle à propos de la formation des atomes dans les étoiles. Reposent-elles sur des observations solides ? » Je lui fais un bref résumé de mon enseignement, qu’il écoute très attentivement. Je souligne la grande crédibilité des théories de la nucléosynthèse deHoyle et de ses collègues. Puis je commence à énumérer leurs faiblesses, en particulier concernant les atomes les plus légers : le duo hydrogène-hélium d’une part, et le trio lithium-béryllium-bore de l’autre. Je lui raconte mes efforts toujours vains pour tenter d’obtenir le programme expérimental qui permettrait de poursuivre la recherche sur les mécanismes responsables de leur origine.
Il me confie alors ne s’être jamais réellement intéressé à la physique des atomes et des noyaux. « Cela me rappelait trop l’entomologie (étude des insectes), m’explique-t-il, et je n’avais pas l’impression que ces sciences puissent jouer un rôle important en dehors du domaine des particules de la physique. J’imaginais encore moins qu’elles puissent être impliquées dans l’évolution de l’Univers ! » Tout comme Einstein, Lemaître avait concentré son attention sur les effets de la seule gravité, négligeant les autres forces (la force électromagnétique et les deux forces nucléaires : la forte et la faible, découvertes pendant les années
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