Je n'aurai pas le temps
enfants dans un endroit que nous appelions « le champ habituel » pour entendre et identifier ces musiciens volants. Cette passion ne m’a jamais quitté.
Durant ma convalescence, je reçus de Caltech une proposition pour un séjour d’un an dans le laboratoire de William Fowler. Dilemme ! J’hésitai… c’était tentant ! Pourtant, deux arguments me firent opter pour la Belgique, sans pour autant renoncer à Caltech, à qui je demandai de différer son offre d’une année. Tout d’abord, ma grande envie d’aller en Europe. Ensuite, la loyauté que j’estimais devoir à Marcel Demeur et à mes interlocuteurs belges qui avaient déjà gelé les fonds prévus. Mais Caltech déclina froidement ma demande de report : on me signifia nettement que « les choses avaient dorénavant changé ». Ce n’est que beaucoup plus tard que j’ai appris la vive émotionqu’avait soulevée ma décision : crime de lèse-majesté, j’avais préféré aller en Belgique avant de séjourner à Caltech ! Personne n’avait jamais discuté une telle offre émanant du Gotha de l’astrophysique nucléaire ! Cette acrimonie a longtemps plombé mes rapports avec Caltech. Il faudra plusieurs années pour que les choses s’arrangent, lors d’un événement à Jérusalem que je raconterai plus tard.
Quelques mois après, en 1964, rétabli de mon hépatite, la maison de la banlieue montréalaise et ses meubles vendus, ma famille et moi étions en partance pour l’Europe. Sur le quai du Havre, je regardais le débarquement de mon automobile, une Rambler bleue qui, suspendue à une grue, se balançait entre ciel et terre. Le lendemain nous roulions du côté de Dieppe et d’Étretat en direction de la Belgique. C’était le début de l’automne… Le temps était magnifique. Sur les bas-côtés de la route, les herbes ondulaient sous le vent tiède. La mer bleue brillait sous le soleil. Les malles solidement arrimées sur la galerie de la voiture contenaient toutes nos possessions. Je me sentais léger.
Nous sommes installés dans un grand appartement à Bruxelles près du square du Centenaire. Les garçons sont inscrits à l’Athénée Adolf Max, tandis qu’Évelyne, âgée de deux ans, fait ses débuts à l’école maternelle, où elle tombe amoureuse d’un lapin dont elle nous parle sans arrêt. En très peu de temps, les garçons ont adopté l’accent belge et appris un peu de néerlandais avec leurs camarades de classe. C’est fou la vitesse à laquelle les enfants apprennent les langues.
Nous entreprenons d’explorer les nouveaux paysages qui s’offrent à nous. Fidèle à mes rêves d’adolescent, j’ai voulu retrouver les lieux des deux images marquantes de la page « Belgique » de mon Encyclopédie de la jeunesse .
D’abord, le campanile de Malines où, debout sur la place centrale, nous avons droit à un long et charmant concert donné par des musiciens aux instruments plus oumoins bien accordés. Ensuite, la grotte de Han, dont nous suivons, à bord d’une barque, les étroits tunnels où la lumière du jour, dans les rares endroits où elle perce, bleuit les stalactites et les stalagmites effilées.
Je profite de mon passage dans la région pour répondre à l’invitation d’un collègue astrophysicien, qui m’avait proposé de visiter le radiotélescope belge situé non loin de là. Le soir tombe sur la plaine enneigée. L’immense soucoupe métallique reçoit les ondes radio provenant du soleil couchant, mais aussi celles de leur réflexion sur la surface gelée du sol. Les deux trains d’ondes entrent en interférences, tantôt s’additionnant, tantôt se soustrayant, au fur et à mesure que le soleil descend sur l’horizon. Résultat : l’aiguille du détecteur trace une lente oscillation sur le papier millimétré. Je retrouve, à grande échelle et en temps réel, le phénomène des franges lumineuses dites « interférences de Young » de mes manuels de physique !
Puis nous partons à Ostende, où nous sommes restés longtemps sur la plage de sable à regarder…
… les chevaux de la mer
qui fonçaient la tête la première
et qui fracassaient leur crinière
devant le casino désert 1 …
Poursuivant notre périple en direction de la Hollande, nous avons longuement arpenté les îles de la province de Zélande en mer du Nord, où la vie paysanne semblait ne pas avoir changé depuis des siècles. Ces lieux, ces maisons, ces ciels tourmentés que je voyais pour la
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