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Je n'aurai pas le temps

Je n'aurai pas le temps

Titel: Je n'aurai pas le temps Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Hubert Reeves
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première fois me paraissaient étonnamment familiers. Il me fallut un certain temps pour comprendre l’origine de cette étrangesensation : je vivais le bénéfice des heures que j’avais passées dans les galeries de peintures flamandes à Washington et à New York. Je retrouvais dans ces paysages les tableaux de Van Dyck, Ruisdael, Van der Weyden ou Breughel que j’avais tellement affectionnés. Je suis allé me poster à l’endroit où Vermeer avait installé son chevalet pour peindre sa Vue de Delft .
    Par la suite, je suis souvent allé au musée de Bruxelles pour revoir les œuvres de ces artistes et mieux comprendre mon émotion. Comme le dit Tristan Tzara : « Le peintre crée un monde… » Il nous donne à voir des spectacles qui nous émerveillent quand nous les retrouvons ensuite dans leur réalité, et auxquels peut-être, sans ces œuvres picturales, nous serions restés plus ou moins indifférents. Oscar Wilde, pour sa part, faisait remarquer que les couchers de soleil, après Turner, n’étaient plus les mêmes. Et, selon les mots de Gaston Bachelard : « Depuis que Monet a regardé les nymphéas, les nymphéas de l’Île-de-France sont plus beaux, plus grands. »

    Enseigner à l’ULB
    En donnant des cours au département de physique de l’Université libre de Bruxelles (ULB), je me suis rapidement rendu compte combien la mentalité des étudiants belges était différente de celle des Canadiens (plus tard, je constaterai d’ailleurs la même chose entre les Canadiens et les Français). Ce qui m’étonna le plus fut leur passivité, leur silence, leur manque de réaction pendant la classe. Jamais une question. Jamais une protestation. Des visages fermés, sans expression. Des stylos, des cahiers, des mains qui prennent des notes.
    Mes cours étaient-ils adaptés au niveau de leurs connaissances ? Comment savoir si mon enseignement leur passait au-dessus de la tête ou si, au contraire, il ne leur apportaitrien de neuf par rapport à leurs connaissances antérieures ? Je me sentais dans un vide angoissant.
    Ce n’est qu’après plusieurs jours, pendant lesquels j’avais vivement insisté pour qu’ils posent des questions si quelque chose ne leur paraissait pas clair, qu’un élève me demanda la définition d’un mot que j’avais déjà souvent utilisé puisqu’il était essentiel à mon argumentation. Étonné, j’interrogeai la classe : « Qui ne connaît pas ce terme ? » Plus de la moitié des étudiants en ignorait la signification. Ce constat me déprima profondément : n’avaient-ils donc rien compris à ce que je leur avais déjà exposé ? Leur avais-je fait perdre leur temps et avais-je perdu le mien ? J’appris peu après qu’une terminologie équivalente leur était familière. Je l’utilisai par la suite dans mes cours.
    C’est en discutant avec plusieurs de mes collègues que je compris pourquoi les élèves se comportaient ainsi en classe. C’est le statut traditionnel du Professeur qui était en cause. Il appartenait à une sorte de caste considérée à la fois avec révérence et méfiance. Cette attitude me devint plus palpable encore le jour où, persistant dans mon souhait d’établir des liens avec les étudiants, je leur proposai de déjeuner ensemble à la cafétéria, comme je le faisais souvent à Montréal. Aucun ne répondit à mon invitation. Plateau en main, je pris malgré tout l’initiative de m’asseoir à une table où la discussion était fort animée. Le résultat fut immédiat : plus un mot, silence total, chacun plongeant le nez dans son assiette. Pour amorcer une conversation, je demandai à l’un d’eux quel était le sujet de sa thèse. La sueur se mit à perler sur son front comme si j’étais en train de lui faire passer un examen et il ne put balbutier que quelques mots. Le repas se poursuivit dans le même mutisme pesant. Échec total !
    Cela se passait avant Mai-68. Depuis, la situation a évolué bien sûr, mais pas tant que ça. J’ai pu m’en rendre compte dans différents pays européens, où le Herr Doctor Professor , le « Grand Professeur », l’ Illustre Dottore sévissent encore. Quelques années plus tard, à Paris, j’ai dit un jour à une classe qui restait silencieuse : « C’est ici que vous devriez d’abord exprimer votre mécontentement. Cela vous éviterait peut-être d’élever des barricades ! »

    Nouvelles démarches…
    Sous l’égide de l’Institut de recherche

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