Je n'aurai pas le temps
prévue pour trois jours plus tard.
Aussitôt, je me rends au consulat situé dans une banlieue cossue de Bruxelles. C’est l’hiver, il fait très froid. À l’adresse indiquée, j’aperçois une imposante maison bourgeoise dans un jardin planté de grands arbres dénudés. Rien d’autre qu’une plaque métallique ne la différencie des voisines. Je suis bien à la bonne adresse.
Quand, suivant les instructions affichées « Sonnez et entrez », je pousse la porte, je n’imagine pas que mon voyage en URSS vient de commencer.
Le grand salon aux portes vitrées est richement décoré de meubles de qualité et de lourds rideaux. Il y a du monde partout. Dans un coin, une famille, grands-parents, parents et enfants braillards, ont déballé sur une table des sandwichs et des bouteilles de Coca-Cola que la mère sert dans des verres en plastique.
Trois hommes couchés monopolisent chacun un des trois grands sofas aux pieds et aux bras sculptés. Près d’eux, sur le plancher, des bouteilles de vodka à demi vides… D’autres personnes, les unes assises, parfois deux par deux, les autres appuyées aux dossiers, occupent toutes les chaises alignées le long des murs.
Malgré l’affluence, c’est le silence, morne et pesant, à peine interrompu parfois par quelques mots chuchotésou par des pleurs d’enfant que les parents s’empressent d’étouffer.
Pourquoi tant de monde dans cette pièce ? L’ouverture des portes aurait-elle été plus précoce que je l’avais cru ? 8 heures au lieu de 9 ? Aurais-je mal lu ? Quoi qu’il en soit, je n’ai plus qu’à attendre, patiemment, comme tout le monde.
Je m’assois sur une marche d’escalier et, sortant un livre, je tente de le lire. Peine perdue : trop de questions se bousculent dans ma tête.
Maintes fois j’avais relu le document et j’avais vérifié la période d’ouverture : de 9 à 17 heures. Est-il vraisemblable que tous ces gens, installés pour dormir ou se restaurer, soient entrés il y a moins d’une heure ? Leur façon lente de se mouvoir infirme cette hypothèse.
Malgré toutes mes réticences à l’admettre, un seul scénario s’impose : ces gens ont passé la nuit ici.
Il y a un contraste frappant entre la torpeur générale qui pèse sur le grand salon d’attente, et l’activité intense qui semble régner dans les bureaux adjacents, fermés de portes aux vitres opaques, et d’où proviennent les bruits ininterrompus de machines à écrire, de fréquentes sonneries de téléphone, et les conversations animées des fonctionnaires…
Parfois une porte s’ouvre. Une employée en tailleur sombre, grande et raide, aux cheveux courts, traverse la salle pour disparaître derrière une autre porte.
D’autres personnes, des secrétaires sans doute, se croisent dans la pièce, enjambant les sacs de plastique et autres objets encombrants. Toutes ont la même allure, le même visage inexpressif…
Je prends conscience d’un phénomène qui va me devenir familier : l’aptitude du personnel administratif soviétique à se déconnecter de la réalité pourtant bien présente sous ses yeux.
Une des portes vitrées reste obstinément fermée. Celle dont la plaque indique : « Directeur du Consulat ». Après plus d’une heure d’attente, constatant que rien n’a bougé, qu’aucune des nombreuses personnes n’a été appelée, surmontant mon absence de penchant pour le resquillage, je passe à l’action. J’interpelle une secrétaire en transit entre deux portes. Elle m’ignore totalement.
Outré de cette attitude, je m’approche d’une des portes et je frappe. Pas de réponse. Je frappe plus fort. Toujours rien. Timidement, j’ouvre la porte. Trois personnes, assises devant leur machine à écrire, me jettent un regard indifférent.
Je dis : « Je viens chercher mon visa pour l’URSS.
– C’est la porte à côté », me répond l’une d’elles.
Nouveau manège à la porte d’à côté. Toujours pas de réponse. J’entre. Je renouvelle ma demande. On me tend une liasse de formulaires à remplir en cinq exemplaires « et en lettres carrées », me précise-t-on d’un ton autoritaire. Je regagne l’escalier pour m’asseoir et lire attentivement les instructions. Il faut compter un mois d’attente pour obtenir le précieux visa… à la condition que les documents soient bien remplis ! Je franchis de nouveau la porte du bureau, sans frapper :
« Il y a un problème : je dois être à
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