Je Suis à L'Est !

Dans la formation des hauts fonctionnaires à la française enfin, pour donner un troisième exemple, je me suis souvent interrogé non seulement sur ce qu’ils doivent savoir, et que vérifie supposément le rituel du concours, mais aussi sur ce qu’ils doivent impérativement ignorer. À cet égard, leurs lieux de formation remplissent une tâche en laquelle on peut, pour une fois, avoir pleinement confiance.
    En somme, la toxicomanie, expérience peut-être trop forte, trop solitaire, nuit gravement à la socialisation. Foucault, dont les appels à trouver la drogue la plus saine – qui donne le plus de plaisir et le moins d’effets secondaires – feraient aujourd’hui scandale et le mèneraient devant juges et geôliers, a sans doute perçu que le problème essentiel de la toxicomanie n’était pas dans telle ou telle propriété chimique des molécules. Le toxicomane, pour être avec, doit faire semblant d’être sans.
    Lorsque j’ai quitté mon désormais ancien directeur de thèse, après notre dernière entrevue, si j’ai été ému c’est que je crois avoir compris que le vieux monsieur que j’avais face à moi avait tenté une fois de plus, par des allusions discrètes, de me faire comprendre que, toute sa longue vie, il avait joué lui aussi.
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    Il n’est de richesses que d’hommes :
 des amis à l’emploi
    Les centres d’intérêt d’un autiste sont-ils toujours « non fonctionnels », en d’autres termes ne débouchant sur rien, comme l’affirmait une conférencière ? Je l’ignore dans l’absolu. J’ai suivi un cheminement qui, peu à peu, dans une certaine mesure, m’a permis de corriger certaines de mes gaffes et de trouver des amis, puis un emploi.
    Néanmoins, ce processus, comme chacun pourra s’en rendre compte, s’est fait en parallèle des voies habituelles, grâce à la bienveillance de certains et au hasard des rencontres. Un système de fonctionnement pour ainsi dire « à l’ancienne », où la connaissance directe des gens prime sur les rôles sociaux.
    Discours de la méthode : de la gaffe à la baffe puis la contre-baffe
    L’apprentissage social d’un jeune autiste ne se fait pas sans douleur. Il en est d’ailleurs de même pour tous les groupes sociaux un peu marginaux, comme les personnes immigrées ou handicapées en général. En clair, chaque fois que je faisais une gaffe sociale, et que celle-ci se transformait en baffe reçue, au sens à la fois abstrait et souvent très concret, j’identifiais les choses à retenir.
    Un apprentissage après tout assez analogue à celui d’une langue étrangère, où vous apprenez les mots au fur et à mesure des coups ; vous n’avez pas forcément de planning, par exemple, aujourd’hui j’apprendrai le vocabulaire des produits d’entretien, et demain celui des animaux au zoo… Le déroulement est tout autre : ainsi, supposons que je sois dans la rue, que je me perde, et que je me rende compte que je ne sais pas comment demander où est mon hôtel. Lorsque, après une heure de vaines recherches et d’angoisse, je le retrouve enfin, il est probable que je me jetterai sur les manuels de langue et retiendrai, cette fois, la formule requise. En linguistique, sauf erreur de ma part, on parle de grammaire aléatoire.
    Inutile d’ajouter que le contenu naturel de mes journées était riche en gaffes et baffes, donc en apprentissages potentiels. Avec le temps, j’ai également su comment en tirer profit : ainsi, autant mes gaffes d’élève dans les premières classes de primaire n’étaient généralement pas correctement réutilisées, autant je pense avoir appris peu à peu à le faire. Prenons un exemple, celui de l’une de mes dernières grosses gaffes avec les profs. C’était en français, en classe de seconde, la prof avait fait cours sur un texte donné, et quelques minutes avant la récré, elle nous avait demandé notre avis, ou notre commentaire, en omettant toutefois de préciser si ledit commentaire devait porter sur le texte étudié en classe ou sur sa méthode de travail ; ayant compris la seconde alternative, j’ai