Je Suis à L'Est !
dâailleurs resté pendant longtemps, ce qui mâépatait chaque fois, était quâils me répondaient. Jâétais beaucoup plus habitué soit à une absence de réponse, soit à un email dâinsulte.
Lâun dâeux se prénomme Loïc. Je lâappelle parfois mon ami le linguiste. Car, linguiste, il lâest plus que quiconque. à lâépoque, il nâétait pas encore docteur en linguistique, et avait encore plus de difficultés sociales que maintenant. Sa principale qualité, dans les premiers temps de nos échanges par email, était sa constance. Son aptitude à poursuivre dans le temps des discussions sérieuses sur ce qui lâintéressait. Cela mâa beaucoup facilité les choses, notamment au début, quand jâétais un peu perdu, parce que écrire un email est tout un art. Même, et surtout, un email banal.
Loïc habite à la campagne, loin de Paris. Son seul regret est de ne pas vivre dans un coin plus tranquille encore. Je le vois dâordinaire une fois par an, juste avant Noël â mais du fait de mes propres voyages, cela fait longtemps que je ne lâai pas croisé.
Peut-être que lâon peut se demander comment moi, qui ne suis pas linguiste, jâai pu établir un contact suivi avec un spécialiste. Deux points ont probablement facilité les choses. Premièrement, le fait que les centres dâintérêt au sein de la linguistique de Loïc soient assez fluctuants et en tout cas très larges : un jour il apprend une langue, le suivant il passe à une autre, avant de revenir à la première, etc. Deuxièmement, on peut légèrement déraper sur un peu tout. On peut par exemple aborder les aspects politiques puisque, pour lui, lâun des critères majeurs dâévaluation des hommes politiques est leur position par rapport aux langues, leur aptitude à parler les langues étrangères, et leur volonté ou non de reconnaître dâautres langues que le français. Un point de vue original, mais qui, tout bien considéré, est pertinent en ce que lâobservation historique montre que les dictatures en général sont hostiles à la diversité linguistique. Par exemple, le gouvernement de Vichy avait promptement interdit les conversations téléphoniques et communications dans les langues autres que le français et lâallemand (cette dernière langue pour des raisons évidentes, aucunement par volonté dâouverture internationale). à lâinverse, je crois que lâexceptionnelle stabilité politique et le modèle de démocratie consensuelle de la Suisse sont en bonne partie liées à sa nature intrinsèquement polyglotte, préservée alors même que le reste de lâEurope a été ravagé je ne sais combien de fois par les régimes les plus fous, sanglants, barbares, bestiaux.
La deuxième personne qui ait accepté de correspondre avec moi sâappelle Florence. Au tout début, nous parlions des tests de QI. Elle aimait en passer, comme moi, pour se distraire ou pour le sport, sans regarder le score final. Puis le thème qui a occupé nos discussions pendant plusieurs années fut la schizophrénie. Indirectement, les diagnostics fluctuants de Florence mâont beaucoup apporté, notamment sur lâaptitude à relativiser le verdict dâun psychiatre. Un autre sujet de nos discussions, notamment après les années 2005-2006, a été la carrière professionnelle. Florence, cadre sup, ayant en partie eu le même parcours scolaire que moi, mâa tout appris sur la façon dont fonctionnait une entreprise, ses pièges et ses codes.
Il est vrai que, plus tard, avec toutes les histoires de télé et médias par lesquelles jâai dû passer et dont on reparlera, de vrais-faux amis sont venus en foule. Mais je nâai quasiment jamais réussi à établir avec dâautres le même type de contact quâavec mes deux amis « historiques ». Plusieurs facteurs ont sans doute contribué à cela : jâavais déjà ma dose de correspondance, et le fait que ces deux amis aient pris contact avec moi à lâépoque où personne ne le voulait a indubitablement pesé lourd. Cela étant, jâai pu rencontrer des personnes formidables, devenues de bons amis, tels Déborah,
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