Je Suis à L'Est !
lâemploi des personnes handicapées en général, on affirme souvent que le frein majeur à leur inclusion professionnelle est leur manque de qualification. Dans le cas de lâautisme, cet argument ne tient pas â dâailleurs, dans le cas de lâemploi des personnes handicapées en général, je crois quâil relève avant tout du prétexte.
Je pense que si je devais chercher un emploi par la voie ordinaire, je ne trouverais jamais. Malgré la longueur de mon CV, ou à cause dâelle. En dépit de mes apprentissages, sur le plan des compétences évaluées lors des entretiens dâembauche, je nâai toujours pas les aptitudes quâun débutant trouverait naturelles. Autant je peux baratiner sur des sujets plutôt abstraits, autant me vendre moi-même est autrement plus ardu. Jâai ainsi non seulement échoué à tous mes entretiens dâembauche sans exception, mais en plus jâai été victime de diverses mauvaises pratiques : traductions jamais rémunérées, y compris pour de grands éditeurs, rejet et « silence radio » une fois que jâavais benoîtement fait ce quâon me demandait de faire, etc. Lors dâun entretien, il y a en effet tout un rituel. Vous devez dire « bonjour » dâune certaine manière, serrer la main dâune certaine manière. Montrer que vous êtes la bonne personne qui convient pour le poste en question. Il ne faut pas vous sous-évaluer, ou vous dévaloriser. Il faut fixer la personne du regard. Câest tout un jeu de séduction quâil faut mettre en place. Autrefois, jâavais tendance, par exemple, à regarder le sol, à être assis dâune manière crispée. Mon langage était beaucoup plus pédant quâil ne lâest maintenant. La mélodie de ma voix était encore plus monotone quâaujourdâhui. Lâéchec ne pouvait être quâau rendez-vous. Comme me lâa dit le responsable dâune grande entreprise de publicité : si tous les candidats à un stage étaient comme vous, on ne prendrait pas de stagiaire.
Mais jâai quand même réussi à avoir un tout premier job. Câétait à lâautomne 2003, à ma sortie de Sciences Po, une fenêtre de trois mois où les neuroleptiques mâendormaient beaucoup, mais où je pouvais encore, tant bien que mal, être fonctionnel. Et ce nâétait pas un vrai travail, plutôt un stage non rémunéré.
Jâavais envoyé mon CV à maintes reprises, croyant encore plus ou moins vaguement à la propagande officielle sur la facilité des diplômés de Sciences Po à trouver un emploi ; que des échecs. Lâentreprise en question était différente. Elle mâa accepté sans entretien dâembauche. Une agence de rédaction pour des magazines féminins, à mi-chemin entre agence de presse et agence de pub.
Peut-être quâen vérité on mâa pris pour rire. Lâagence était en effet féminine de la patronne jusquâà la jeune secrétaire. Et lâambiance était étonnante. Lors de la première réunion de lâéquipe à laquelle jâassistai, moment formel sâil en est, la patronne, lors du tour de table des choses à faire, sâétait vantée de savoir jouir sept fois de suite, avant de se tourner vers moi et dâajouter que je ne pouvais pas comprendre.
Ainsi je commençai à apprendre les ficelles du métier de rédacteur. Inutile de dire quâil a fallu partir de zéro. Je ne connaissais rien de rien, je ne savais pas ce quâétait un jacuzzi⦠ce genre de chose indispensable pour tout rédacteur de magazine féminin. De même pour les marques de parfums ou les bons restaurants de Paris. Cela a précisément ajouté au défi de la découverte, malgré la difficulté des premiers pas. Pendant quelques semaines, jâai été incapable de faire un boulot correct, mais petit à petit jâai appris les éléments de langage, les bouts de phrases, la manière de les assembler, la manière de faire un article. Quand on ne sait pas ce quâest un jacuzzi, comment décrire les hôtels de luxe en Thaïlande ? Pour moi, Spa était la ville de Belgique qui avait accueilli le haut quartier général allemand
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