Jean sans peur
finis !
Il y eut un éclat de rire terrible. Ils se retrouvaient, les sacripants, prêts à en découdre, prêts à foncer sur l’ennemi qu’on leur désignerait. Et ce fut joyeusement qu’ils endossèrent les frocs sous lesquels se cachaient les dagues.
À ce moment, Tosant et Lancelot entrèrent dans le dortoir.
– Ventre du pape ! Venez-vous nous confesser encore ? cria Bruscaille.
– Non, mes frères, dit Tosant, nous venons vous apprendre le métier.
– Le métier ? Eh ! mort du diable, quel métier vaut le nôtre ?
– Le métier d’ermite, dit Lancelot. Il faut que vous appreniez à exorciser.
– Bah ! fit Bragaille goguenard en touchant sa dague, nous avons là de quoi exorciser tous les possédés de Paris. Laissez faire, mes révérends. Le métier, nous le connaissons, oui !
– Il faut que vous appreniez les paroles et les gestes. Écoutez bien, et retenez.
Malgré leur répugnance, les trois sacripants durent écouter la leçon qui leur fut faite, et qui dura jusqu’au soir, interrompue seulement par un plantureux dîner auquel Tosant et Lancelot prirent part.
Pendant ce temps, ceci est à noter, le duc de Bourgogne était à l’Hôtel Saint-Pol, en grande conférence avec la reine Isabeau de Bavière.
Sur le soir, donc, Jean sans Peur revint à son hôtel.
Il se fit amener Bruscaille, Bragaille et Brancaillon qu’escortaient toujours Tosant et Lancelot.
– Savent-ils le métier d’ermite ? demanda le duc.
– Presque aussi bien que nous, répondit Lancelot dont les idées n’étaient plus très nettes.
– Sont-ils capables d’exorciser le possédé qu’il s’agit d’arracher au diable ?
– Ils savent faire les gestes, dit Tosant. Mais quant aux paroles sacrées…
– Les paroles importent peu, gronda Jean sans Peur d’un accent terrible. S’ils savent les gestes…
Bruscaille écoutait avec une attention passionnée. La voix rauque, âpre et funèbre du maître lui donnait l’ardeur de la bataille.
– Les gestes, dit-il, nous les savons tous, monseigneur, oui… tous !
L’œil de Jean de Bourgogne se fit sanglant. Sourdement, il murmura :
– Tous ?…
– Oui, dit Bruscaille froidement. Et si les gestes de ces révérends ne suffisent pas pour exorciser le possédé en question, il en est un que nous savons, dès longtemps, monseigneur…
Il frappa sur sa dague et du regard, interrogea le maître. Jean sans Peur eut une courte hésitation, et enfin, dans un souffle :
– Oui ! dit-il.
Bruscaille, Bragaille et Brancaillon frémirent. Quelqu’un était condamné. Qui ?
– Monseigneur, dit Bruscaille, il nous reste à apprendre le nom du possédé…
– Vous le saurez, fit Jean sans Peur plus sombre. Le possédé demeure dans votre ermitage.
– Notre ermitage ?…
– Oui. L’ermitage que vous allez habiter. Venez. Je vais vous y conduire !
Six heures du soir venaient de sonner. La nuit était noire, mais les neiges accumulées sur les chaussées, accrochées à toutes les arêtes, réverbéraient des clartés blanches. Le froid était violent, l’air cinglait.
Or, par les rues, s’acheminait une bande que quelques bourgeois, à l’abri derrière leurs vitres épaisses, regardaient passer avec étonnement. C’étaient cinquante cavaliers marchant au pas, enveloppés jusqu’au nez de leurs manteaux fourrés sous lesquels les mêmes bourgeois, à certains mouvements pouvaient voir briller les cuirasses et les dagues. Les manteaux portaient sur l’épaule gauche la croix rouge de Saint-André, et les bourgeois pensaient :
– C’est Mgr le duc de Bourgogne qui s’en va faire visite à quelque haut baron…
C’était Jean sans Peur, en effet.
Il marchait à plus de vingt pas en avant de son escorte, afin qu’on ne l’entendît pas parler. Et il parlait à trois révérends qui, montés sur des mules, cheminaient près de lui.
C’était Jean sans Peur qui donnait ses dernières instructions à Bruscaille, Bragaille et Brancaillon.
On arriva à l’ermitage !
L’escorte mit pied à terre. Jean sans Peur donna du cor. Un pont-levis s’abaissa… le pont-levis de l’ermitage où Bruscaille, Bragaille et Brancaillon allaient faire les gestes d’exorcisme… le geste !
Cet ermitage, c’était l’Hôtel Saint-Pol.
X – DANS L’ERMITAGE
Lorsque Bruscaille se vit dans l’Hôtel Saint-Pol, il ne put s’empêcher de frémir. Il perdit la tête et, tout pâle, ne sachant plus ce qu’il
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