Joséphine, l'obsession de Napoléon
verrouillée ; elle y colla l’oreille et entendit les voix de la Duchâtel et de Napoléon ; elle insista pour qu’on lui ouvrît ; Napoléon déverrouilla la porte. Il était nu et, sur la chaise longue, Adèle Duchâtel, également nue ; elle prit la fuite avant que Napoléon se mît à crier ; ce n’était que partie remise. Quand elle revint au salon, elle était blême. Elle emmena Claire de Rémusat dans sa chambre et lui raconta l’incident ; la dame d’honneur la prévint que la colère de Napoléon serait encore pire s’il apprenait qu’elle avait révélé la scène à un tiers.
Mme de Rémusat quitta la pièce et Napoléon y entra. Une scène fracassante s’ensuivit. Les éclats de voix de l’infidèle parvinrent jusqu’au salon. Il jeta des vases par terre, cassa du mobilier et donna l’ordre à Joséphine de quitter Saint-Cloud immédiatement. Il voulait, dit-il, épouser une femme capable de lui donner des enfants.
Joséphine dépêcha Mme de Rémusat auprès d’Hortense pour la supplier d’intervenir. Hortense refusa : son mari le lui avait interdit.
— Elle ne perdra qu’une couronne, déclara-t-elle.
La phrase pouvait sembler cruelle ; mais elle ne l’était que pour Napoléon ; elle signifiait qu’il avait perdu son droit à être un mari aimé. Hortense ajouta qu’il y avait des femmes plus dignes de pitié que sa mère et que le seul espoir de celle-ci résidait dans la puissance de ses larmes.
Eugène aussi refusa d’intercéder auprès de son beau-père. Ce n’était pas dureté de coeur : ses deux enfants aimaient profondément leur mère, mais la répétition des scènes conjugales avait épuisé leur espoir de sauver le ménage impérial et elle faisait trop souffrir Joséphine. Le soir même de la scène, Napoléon fit appeler Eugène et lui annonça son intention de divorcer, assurant son beau-fils que celui-ci n’y perdrait rien de ses privilèges. Eugène répondit qu’il ne demandait aucune faveur et que son devoir serait d’accompagner sa mère partout où elle irait.
Le clan Bonaparte avait donc gagné : le divorce était imminent. Napoléon déclara même son intention à Joséphine : il lui demanda deux jours plus tard si elle accepterait de le soulager du fardeau de décider lui-même du divorce. Elle lui répondit qu’elle attendrait ses ordres. Dans ses Mémoires, Claire de Rémusat observe justement que, par sa douceur et sa soumission, Joséphine avait réduit Napoléon dans un état d’agitation et d’incertitude.
La froideur des enfants à l’égard de Napoléon devint dès lors évidente. Il en souffrit ; il s’était sincèrement attaché à eux, dans la mesure où ses sentiments pouvaient présenter quelque constance. Un soir à la Malmaison, avisant Hortense dans le grand salon, il l’appela :
— Vous aussi, madame, vous êtes donc contre moi ? Oh, c’est tout simple, c’est votre mère. Je ne puis vous séparer d’elle dans le bonheur que je lui souhaite. Mais vous allez vous plaindre de mes procédés envers elle.
— Sire, on vous a mal répété ce que j’ai dit, répliqua Hortense. Vous êtes le maître de faire ce que vous voudrez, mais les scènes dont je suis témoin entre vous font son malheur et le vôtre, et ceux qui en sont la cause veulent se rendre nécessaires, mais ne vous aiment ni l’un ni l’autre.
C’était raide : Hortense accusait le clan Bonaparte d’entretenir la zizanie et de ne songer qu’à ses intérêts. Mère de l’héritier présomptif, elle avait l’autorité pour parler clair.
— Pourquoi n’aurais-je pas des amis qui me disent la vérité ? demanda Napoléon.
— Des amis ne cherchent pas à augmenter le trouble d’un ménage.
— Mais la jalousie de votre mère me donne un ridicule aux yeux de tout le monde. Il n’est pas de sottise qu’on ne débite sur moi. Croyez-vous qu’on ne le sache pas ? La faute en est à elle.
Ce fut alors qu’il répéta l’accusation qu’Adèle Duchâtel lui avait lancée un soir en riant et qui provenait de Joséphine.
— Non, Sire, repartit Hortense, la faute en est à ceux à qui je le reproche. S’ils ne cherchaient pas à vous irriter au lieu de vous calmer, vous ménageriez la sensibilité de ma mère. Comment exiger d’elle plus de force que vous n’en avez ? Elle souffre, elle se plaint, c’est tout.
Ce discours sans complaisance brisa apparemment la transe amoureuse où Napoléon se trouvait depuis
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