Joséphine, l'obsession de Napoléon
palais de l’Isola Bella et faillit y perdre son petit chien, puis, de retour à Milan, assista à une ascension en ballon de Mme Blanchard, l’épouse du célèbre pionnier des aérostats ; les Italiens n’avaient encore rien vu de pareil. Il y eut un grand bal, où le prince Eugène dansa beaucoup et fit chavirer les coeurs. La famille impériale se rendit à l’opéra de la Scala, où chantaient le soprano Marchesi (qui n’était pourtant pas de première jeunesse) et la primadonna Banti, dont un Anglais avait acheté comptant le gosier pour 50 000 francs quand elle serait morte, afin de pouvoir en étudier l’anatomie à loisir.
L’Italie était prolifique en oeuvres d’art et tissus précieux. Joséphine se livra à une orgie d’achats, certains fort coûteux, dont elle n’avait pourtant pas l’usage et dont les factures suscitèrent les remontrances tonitruantes de Napoléon. Mais le besoin de dépenser était devenu chez Joséphine une seconde nature ; les invitations à la modération étaient inutiles ; on eût aussi bien pu lui demander de respirer moins.
Les psychologues modernes interprètent ce travers comme un signe de frustration. Point n’était besoin d’être grand clerc pour déceler celle de Joséphine. Épouse en titre, elle avait doute rêvé d’être aussi la seule maîtresse. Or Napoléon égrenait les siennes l’une après l’autre, comme les perles d’un chapelet. Et il l’avait réduite à la solitude du corps. À quarante-deux ans, et bien que ce fût alors l’âge où l’on était trop mûre, c’était lancinant.
Condamnée par le sort à avoir un ventre précocement stérile, elle se sentait vide. Elle devint, comme bien des femmes modernes, une maniaque de l’acquisition. Elle achetait de la beauté jusqu’à plus soif, possédée par le fétichisme de la marchandise. C’était sa manière de conjurer le vide.
Elle cavalcadait dans le monde de l’Empereur comme sur le cheval d’un gigantesque manège.
Deux grands projets se profilaient à l’horizon : l’invasion de l’Angleterre et le mariage d’Eugène.
Le 6 juillet 1805, la conscience du premier agita soudain Napoléon : il décida de rentrer en France. Aussi l’été se prêtait-il le mieux à sa grande opération navale. Les voitures filèrent à un train d’enfer : cinq jours plus tard, l’équipage impérial était à Fontainebleau. Napoléon courut à Boulogne, Joséphine alla se reposer à Plombières.
À Boulogne, Napoléon se trouva contraint à l’inaction : il attendait le retour de la flotte de l’amiral Villeneuve, parti pour les côtes d’Espagne afin d’y attirer la flotte britannique et dégarnir ainsi la défense des côtes anglaises. Il s’ennuya, il voulut que Joséphine le rejoignît ; elle avait assez couru. Elle savait de toute façon que son époux avait des distractions : il avait fait venir une jeune Italienne pour lui tenir compagnie. Napoléon écrivait à Joséphine, de Pont-de-Briques :
Je n’ai pas souvent de vos nouvelles… Vous oubliez vos amis.
[…] Il me semble que c’est en buvant ces eaux de Plombières que vous disiez : « Ah, si je meurs, qui est-ce qui l’aimera ? »
— Il y a bien loin de cela, n’est-ce pas ? Tout finit, la beauté, l’esprit, le sentiment, le soleil même… Mais ce qui n’aura jamais de terme, c’est le bien que je veux, le bonheur d’en jouir et la bonté de ma Joséphine. Je ne serai pas plus tendre, fi ! Vous en faites des risées. Adieu, mon amie. J’ai fait hier attaquer la croisière anglaise ; tout a bien été.
À défaut de Joséphine, il réunit autour de lui Caroline, Murat, Hortense et le petit Napoléon Charles, qui avait trois ans. Louis, malade, prenait les eaux à Saint-Amand. Cette petite compagnie s’amusa beaucoup. Hortense se trouva un jour avec son beau-père et son fils sur le rivage. Des boulets anglais tombèrent à quelque distance, mais Napoléon Charles n’eut pas peur : il était aux côtés de « Nonon le Soldat ».
La flotte de Villeneuve se faisait toujours attendre. Elle était bloquée dans le port espagnol de Cadix par la même flotte anglaise qu’elle avait été censée détourner de la Manche.
Le 1 er septembre, Napoléon regagna Paris. Talleyrand venait de lui adresser des informations alarmantes. L’Europe inquiète de ses ambitions venait de former la Troisième Coalition contre l’Empereur. L’Autriche s’était alliée à l’Angleterre et à
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