Joséphine, l'obsession de Napoléon
où sa tante avait du bien, Mme Hosten. Les amis de cette dernière renouvelèrent le cercle où Rose avait jusqu’alors évolué. Les deux amies sortaient ensemble le soir, elles allaient au théâtre, et parfois Mme Hosten emmenait Rose dans sa maison de Croissy.
Mais Rose avait aussi ouvert son salon à Paris et, avec l’aide de la comtesse Fanny, marraine d’Hortense on l’a dit, qui se piquait d’idées nouvelles, elle reçut les gens les plus influents : La Fayette, Montesquieu, Charlotte Robespierre, Barnave et d’autres membres de l’Assemblée constituante, Mounier, Thouret, Menou, Héraut de Séchelles, Réal, Tallien, le duc d’Aiguillon, le marquis de Caulaincourt… En peu de mois, le salon de la vicomtesse de Beauharnais devint l’un des hauts lieux de la vie parisienne. Il présentait l’ambiguïté délicieuse d’associer l’élégance de ce qu’on appelait désormais l’Ancien Régime à l’audace provocatrice des idées nouvelles. Consciente qu’elle ne brillerait pas par sa science en la matière, la vicomtesse ne se mêlait guère de politique, mais écoutait ses hôtes parler de monarchie constitutionnelle et même de république, ce qui eût été inconcevable ou séditieux quelques mois plus tôt.
Aussi les idées allaient vite.
Comble de cynisme souriant, Rose entretenait les meilleurs rapports avec son ancien mari : l’essentiel pour eux était d’être séparés ; dès lors ils pouvaient être amis. Elle oeuvra à son ascension politique ; déjà président de la Société des jacobins à la mort de Mirabeau, le vicomte Alexandre de Beauharnais devint le 18 juin 1791 président de l’Assemblée nationale. Il était l’un des flambeaux des Lumières et ce fut lui qui, trois jours plus tard, annonça la fuite du roi à Varennes. Puis, du 5 au 13 août, il dirigea les débats sur la nouvelle Constitution. On le savait vaillant militaire, mais pour avoir choisi une épouse aussi remarquable, se fussent-ils désaimés par la suite, il fallait qu’il fût également homme de goût.
Il amena un soir avec lui un jeune officier dont le visage et le teint intriguèrent la maîtresse des lieux : le premier lui était familier, sans qu’elle pût définir à qui il ressemblait, le second était ambré. Il se nommait Alexandre Davy de la Pailleterie, mais se faisait appeler Dumas. Plus encore que ses traits, ce furent son sourire entendu et un air d’en dire moins qu’il ne savait qui piquèrent la curiosité de Rose.
— Nous serions-nous déjà rencontrés ? demanda-t-elle.
— Nous l’eussions dû, madame. Car nous avons récemment partagé un grand deuil.
— Lequel ?
— Joseph Tascher de La Pagerie, madame. Mon père. Elle en perdit la réplique pendant un instant.
— Vous êtes donc mon frère ?
— L’honneur m’en confond, madame, mais il m’interdit aussi de m’en flatter {3} .
Entre-temps, le 10, la royauté avait été abolie. Le roi et sa famille étaient quasiment prisonniers aux Tuileries.
La frayeur s’empara de Rose. Elle réduisit les feux de son succès mondain : on pouvait l’accuser d’être une ci-devant.
Quand l’Assemblée constituante s’était séparée, le 30 septembre, pour laisser place à une Assemblée législative, la figure du vicomte avait perdu son éclat. Il n’occupait plus le devant la scène. Il avait alors rejoint son armée ; il était adjudant de la 22 e division, au camp de Soissons, dans l’armée du Nord, sous la direction de Rochambeau. Il ne pouvait plus protéger Rose ni ses enfants.
Les massacres de Septembre ranimèrent l’odeur du sang dans la capitale. On égorgeait les prisonniers par centaines, la plupart des droits-communs sans activité politique connue, et des bandes de sans-culottes braillards, assoiffés de vengeance aveugle, parcouraient les quartiers de la capitale en hurlant des promesses de mort aux traîtres. Quels traîtres ? Ceux qui leur déplaisaient. Tout le monde accusait tout le monde de l’être, et le chacal Robespierre en accusait ainsi le député Brissot. Tout ministre de la Justice qu’il fût, Danton n’osait donner de la voix.
Longwy puis Verdun tombèrent. La peur d’une invasion prussienne fouetta l’hystérie des révolutionnaires : nul doute, les rois étrangers accouraient au secours de l’un des leurs. Depuis le célèbre 13 août, le roi et sa famille étaient enfermés au Temple. Les victoires de Dumouriez et de Kellermann à Valmy
Weitere Kostenlose Bücher