Joséphine, l'obsession de Napoléon
exotique.
Le plaisir de la compagnie, puis de l’intimité du hussard Charles se doubla bientôt de l’intérêt que présentaient ses activités : adjoint à l’administration de la guerre, il était en rapport avec les compagnies de fournitures militaires et de vente des chevaux d’équarrissage ; à ce titre, il percevait des commissions sur certains marchés, ce qui lui permettait de mener la vie à grandes guides. Le crédit, de plus en plus étendu dont jouissait Joséphine, pouvait être utile. Il servait déjà à la citoyenne Bonaparte pour recommander telle ou telle de ses connaissances auprès du ministre de la Police, par exemple pour demander la levée du séquestre des biens du citoyen de Mérode ; celle-ci ayant été obtenue, le bénéficiaire ne pouvait omettre d’exprimer sa gratitude à sa protectrice sous une forme financière discrète.
Les deux amants fondèrent une compagnie de plus, qui leur permit de s’enrichir, ou tout au moins de payer une partie des dettes colossales de Joséphine, et de rémunérer les personnalités qui avaient facilité leurs démarches, par exemple Barras lui-même et le ministre de la Guerre, Barthélemy Schérer.
Joindre l’utile à l’agréable, quel plus grand plaisir !
Bonaparte pouvait bien envoyer à Paris, par les soins d’Andoche Junot, vingt-deux drapeaux ennemis, trophées de ses victoires transalpines, son épouse célébrait d’autres triomphes dans son alcôve. Pendant que la nation s’enivrait des récits du courage de ses armées, Joséphine, elle, s’abandonnait à la vaillance d’un seul hussard.
Cependant, le scandale guettait. On voyait trop Hippolyte Charles dans l’entourage de Mme Bonaparte. Dépêché à Paris, Joseph, frère de Napoléon, s’en avisa et sans doute en prévint son frère en termes prudents ; mais Bonaparte disposait aussi de son réseau d’espions dans la capitale. Le fait est que, visiblement alarmé par l’absence de sa femme, le nouveau marié insistait de façon de plus en plus pressante, de lettre en lettre, pour que Joséphine le rejoignît en Italie. Après Murat, il envoya Junot la quérir :
Junot porte à Paris vingt-deux drapeaux. Tu dois revenir avec lui, entends-tu ? Malheur sans remède, douleur sans consolation, peines continues, si j’avais le malheur de le voir revenir seul, mon adorable amie. Il te verra, il respirera dans ton temple ; peut-être même lui accorderas-tu la faveur unique et inappréciable de baiser ta joue… et moi je serai seul, et loin, bien loin…
Dans une initiative trop audacieuse pour passer inaperçue, quand le colonel Leclerc s’apprêta à rejoindre l’armée d’Italie, Joséphine lui demanda de bien vouloir laisser à Paris le capitaine Hippolyte Charles ; le prétexte en fut qu’elle souhaitait être accompagnée par ce dernier lorsqu’elle se rendrait en Italie. Leclerc déféra à la requête.
La machine à ragots bourdonna.
Le conflit entre le devoir et le plaisir prit un tour imprévu : Joséphine tomba malade. Le jour même où Junot présentait au Directoire les drapeaux saisis en Italie, le 9 mai 1796, elle fit rédiger par Murat une lettre pour Bonaparte, l’informant qu’elle était enceinte.
L’était-elle ? Pas visiblement. Elle avait en tout cas rassemblé assez de forces pour siéger dans les jardins du Luxembourg, entre Thérésa Tallien et Juliette Récamier, sous un dais proche de celui des directeurs, et assister à la cérémonie. Elle avait été acclamée par le peuple à la sortie.
Cependant, le soir, elle s’était alitée. Comédie ? Ou indisposition réelle ? Aucun témoignage de médecin ne nous est parvenu sur ce point. De surcroît, il aurait eu bien peu de valeur, les connaissances de l’époque en gynécologie étant… embryonnaires. La seule preuve de l’indisposition dont elle fut victime nous est fournie par elle-même, dans un passage de sa lettre du 4 juin, cinq jours auparavant, au ministre de la Police générale, M. Cochon de Lapparent :
La citoyenne Bonaparte aurait eu l’honneur d’aller elle-même voir le ministre pour cette affaire si elle n’était retenue chez elle, et même au lit, par un peu de fièvre et un violent point de côté qui la fait souffrir beaucoup…
Il faut ici se pencher sur un problème médical, puisqu’il joua un si grand rôle dans la fin de sa vie : sa stérilité. L’affaire est épineuse, et un essai de diagnostic pourrait sembler indélicat si les
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