Joséphine, l'obsession de Napoléon

dépêche de Bonaparte parvenue le matin même au Directoire annonçait une grande victoire contre les forces ottomanes des mamelouks, lors de la bataille des Pyramides, le 21 juillet (3 thermidor).
    Les imaginations s’étaient enflammées et des calicots sur les façades représentaient le vainqueur sur un fond de palmiers. Mais nul ne savait encore qu’une autre dépêche de Bonaparte était arrivée peu après la première, portant de bien moins glorieuses nouvelles : le 1 er août, l’amiral anglais Nelson avait détruit la flotte française dans la baie d’Aboukir, à une quarantaine de kilomètres d’Alexandrie. Seuls quatre navires en avaient réchappé.
    Le contact de l’armée d’Orient avec la France était interrompu. Il serait impossible avant quelque temps de ravitailler ou d’évacuer ces soldats partis au bout du monde.
    Joséphine en fut informée aussitôt arrivée rue de la Victoire. Et quel serait donc le sort de Bonaparte dans cette aventure ?
    Elle écrivit à Barras pour lui demander un tête-à-tête le soir même.
    Elle apprit aussi qu’un vilain scandale couvait : MM. Bodin avaient réquisitionné des chevaux pour l’armée d’Italie et ne les avaient pas payés.
    Premiers grondements d’un grand et long orage.

 
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Fables et manigances
    Joséphine ne devait revoir Bonaparte que le 13 octobre 1799 ; ils avaient donc été séparés près de dix-sept mois, le temps que dura l’aventure de Bonaparte en Orient.
    Les événements militaires et politiques de l’expédition d’Orient sont bien connus ; ils ont été relatés par de nombreux témoins. L’aventure révéla pour la première fois au monde les richesses de l’Égypte antique mais, militairement, elle fut désastreuse et confuse, la rivalité franco-anglaise se doublant bientôt de l’hostilité des Égyptiens et des Arabes envers les Anglais.
    La vie privée du couple séparé Bonaparte-Joséphine fut donc interrompue. De nombreux auteurs ont cependant raconté, avec quelques variantes, un drame qui faillit le briser. En voici le tissu : deux jours avant la bataille des Pyramides, Junot aurait informé Bonaparte de la liaison de Joséphine avec Hippolyte Charles. Bonaparte serait alors entré dans une colère effroyable ; il aurait interpellé son secrétaire Bourrienne : « Si tu te souciais de moi, tu m’aurais dit tout ce que je viens d’entendre de Junot. Lui est un véritable ami… Le divorce, oui, le divorce ! Je veux un divorce public et sensationnel ! Je ne veux pas être la risée de Paris. J’écrirai à Joseph et je ferai prononcer le divorce. »
    Le 24 juillet (ou 6 thermidor), trois jours après la bataille des Pyramides, et l’entrée triomphale au Caire, Eugène aurait écrit à sa mère pour lui raconter la scène, en termes nuancés :
    Bonaparte depuis cinq jours paraît bien triste, et cela est venu à la suite d’un entretien qu’il a eu avec Julien, Junot et même
    Berthier ; il a été plus affecté que je ne croyais de ces conversations. Tous les mots que j’ai entendus reviennent à ce que Charles est venu dans ta voiture jusqu’à trois postes de Paris, que tu l’as vu à Paris, que tu as été aux Italiens avec lui dans les quatrièmes loges, qu’il t’a donné ton petit chien, que même en ce moment il est près de toi. Voilà en mots entrecoupés tout ce que j’ai pu entendre.
    Tu penses bien, maman, que je ne crois pas cela ; mais ce qu’il y a de sûr, c’est que le général en est très affecté. Cependant il redouble d’amabilité pour moi. Il semble par ses actions vouloir dire que les enfants ne sont pas garants des fautes de leur mère. Mais ton fils se plaît à croire tout ce bavardage inventé par tes ennemis. Il ne t’en aime pas moins et n’en désire pas moins t’embrasser. J’espère que, quand tu viendras, tout sera oublié.
    Deux jours après son éclat, c’est-à-dire le soir même de la bataille des Pyramides, le 3 thermidor donc, Bonaparte aurait déjà écrit à Joseph :
    J’ai beaucoup de chagrin domestique, car le voile est entièrement déchiré. Toi seul me restes sur la terre ; ton amitié m’est bien chère ; il ne me reste plus, pour devenir misanthrope, qu’à la perdre et te voir me trahir. C’est une triste position que d’avoir à la fois tous les sentiments pour une même personne dans un même coeur… tu m’entends.
    Fais en sorte que j’aie une campagne à mon arrivée, soit à Paris, soit en Bourgogne.