Joséphine, l'obsession de Napoléon
jamais, prétend que Joséphine et Hortense firent le siège de leur époux et beau-père pour qu’il se fît roi, et que celui-ci lui aurait dit un jour : « Ces diables de femmes sont folles. C’est le faubourg Saint-Germain qui leur trouble la tête. » Et une autre fois : « Je sais combien ces femmes vous tourmentent ; vous devez les faire revenir de leur aveuglement, de leurs ridicules pressentiments ; qu’elles me laissent faire et qu’elles tricotent. » Mais Joséphine ne pouvait ignorer qu’elle se serait mis la tête sous le couperet si elle avait poussé son époux à briguer la royauté ; la question de la descendance aurait immanquablement surgi. Bourrienne a sans doute mal interprété une confidence de son maître : il est bien plus probable, sinon certain, que Joséphine et Hortense décourageaient plutôt les velléités monarchiques de Bonaparte. Le terme même de « pressentiment » incline à le croire : c’est le nom qu’on donne à des intuitions funestes. Une autre anecdote le confirme : Joséphine assise sur les genoux de Bonaparte lui aurait dit : « Mon petit Bonaparte, ne te fais pas roi. C’est ton vilain Lucien qui te pousse ! »
Partageant l’aversion de Fouché pour Lucien, et d’autant plus que ce dernier partageait, lui, l’aversion des Bonaparte pour elle, Joséphine ne manquait jamais, en effet, une occasion d’exciter la méfiance de son époux à l’égard de son frère.
Et Bonaparte ne manquait pas non plus de raisons de méfiance. Telle était d’ailleurs la raison pour laquelle il avait confié deux ministères rivaux aux deux ennemis intimes qu’étaient Lucien et Fouché : au premier, l’Intérieur, au second, la Police. De la sorte, l’un contrôlait l’autre dans un Paris changé en une vaste marmite de sorcières où bouillonnaient à petit feu intrigues et rancoeurs d’ambitieux déçus ou de naïfs. Ainsi, après Marengo, les royalistes crurent le moment venu de pousser Bonaparte à rétablir le trône. Le comte de Provence, toujours en exil, commit même une bévue mémorable : il écrivit au Premier consul et lui promit des récompenses pour lui et ses amis dès qu’il aurait occupé le trône de feu son frère. Bonaparte lui recommanda de renoncer à son rêve et termina sa lettre en ces termes : « Je contribuerai avec plaisir à la douceur et à la tranquillité de votre retraite. »
Il n’était pas, lui, homme à tirer les marrons du feu.
Il s’en fallut, en effet, que le retour de Bonaparte à Paris eût mis fin aux complots. La progression éclatante du régime vers le pouvoir absolu d’un seul homme excitait les fureurs des deux camps qui s’affrontaient depuis Vendémiaire, royalistes et jacobins. Ils complotaient sans cesse et visaient tous la vie de Bonaparte. Joséphine trembla en permanence, et peut-être fut-ce parfois son inquiétude que le principal intéressé interpréta comme une jalousie perpétuelle. Lucien déjoua plus d’un complot, mais il s’exposa lui-même imprudemment. En octobre
1800, il fit rédiger et imprimer au ministère de l’Intérieur un pamphlet anonyme, César, Cromwell, Monck et Bonaparte, peut-être écrit par le poète Fontanes, mais certainement révisé par lui-même. L’idée en était que Cromwell avait été une sorte de Robespierre, que Monck (partisan de Cromwell qui avait d’abord combattu les royalistes de Charles II, mais ensuite contribué à la restauration de ce dernier) avait été un indécis, et que de ces personnages, qui avaient joué un rôle crucial dans la transition de la république au pouvoir monarchique, le seul auquel Bonaparte pouvait être comparé était César. C’était déjà d’une opportunité discutable, mais les points les plus contestables de ce pamphlet résidaient dans le long développement sur la nécessité d’assurer la succession du sauveur de la République et la séparation nécessaire du pouvoir civil et du militaire.
Le discours sur la succession agaça Bonaparte, qui y vit trop clairement les ambitions de Lucien ; quant à la séparation des pouvoirs, l’idée ne pouvait lui en être agréable : Marengo lui avait démontré une fois de plus que son pouvoir civil émanait de ses succès militaires. Fouché fit valoir au Premier consul les dangers de la publication et la fit interdire. Le 12 novembre, Bonaparte convoqua Lucien aux Tuileries, en présence de Fouché, et lui déclara que le pamphlet contenait
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