Journal de Jules Renard de 1893-1898
de changer de place.
20 septembre.
Il excelle dans le comique et le tragique à la fois ou séparément.
22 septembre.
Relis, relis. Des choses que tu n'as pas comprises hier, tu seras tout étonné de les comprendre aujourd'hui. Voilà seulement que j'aime Mérimée.
Je n'aime à écrire que de petites choses, en artiste, mais je ne risque pas des livres de précision, des biographies, des critiques. Les romans me dégoûtent, les vers me fatiguent.
Reconstruire ma famille d'après mon enfance.
Il me demandait la lune. J'allai chercher un seau d'eau. « Tiens », lui dis-je, « prends-la. Tu n'as qu'à te baisser. Tu ne peux pas l'attraper ? Arrange-toi. Ce n'est plus mon affaire. Je t'ai apporté la lune. »
J'ai attelé Pégase à une charrue. Il a beau piaffer : il faut qu'il marche avec lenteur et qu'il laboure mon champ. Il reniflait, jetait du feu, piaffait, m'offrait sa croupe, prêt à s'envoler.
- Tout cela est bien, lui dis-je. Mais approche-toi.
Il voulut s'élancer au ciel, mais le soc de la charrue s'enfonçait dans la terre et l'y retenait.
Il n'y a pas de Paradis, mais il faut tâcher de mériter qu'il y en ait un.
Impossible de voir au fond de mon coeur : la bougie s'y éteint, faute d'air pur.
Je me sens déjà vieux, incapable de grandes choses. Si ma vie se prolonge de vingt années, comment pourrai-je les remplir ?
25 septembre.
Je n'en voudrais pas pour un empire colonial.
26 septembre.
Ce qui me gâte les animaux de Grandville, c'est leur costume. L'air suffisait. J'ai tâché de me contenter de l'air dans mes Histoires naturelles. Les animaux ne sont pas ridicules.
La tortue ressemble à une blouse qui sèche sur une corde et ballonnée par le vent.
La girafe porte-drapeau.
Le hérisson frisé comme des baguettes de tambour.
L'âne au sabot d'enfant, modeste chanteur des rues.
28 septembre.
Par la fenêtre, je la vois toujours travaillant. Il lui arrive de parler tout haut à son ouvrage. Le matin, elle fait son ménage avec des gants. C'est une vieille fille qui a quitté la maison où elle était parce qu'on l'a démolie. Elle est ici depuis plus de quinze ans. Elle n'a fait que ces deux maisons. Un ami vient la voir. Jamais il ne couche. Il déjeune quelquefois le dimanche. Ils sont blancs, tous les deux, à les croire poudrés, et propres, et polis, polis. Ils font de fréquents voyages et paient leur loyer avant de partir. Il est veuf, père de famille. Il a des enfants qui ont des enfants. De peur de leur faire du tort, elle n'a jamais voulu l'épouser. C'est un couple qui fait aimer la vie. Elle ne réclame rien à son propriétaire. Une fois, elle lui a demandé l'autorisation de faire changer son papier à ses frais.
Bien avec tout le monde, elle est vieille et a l'air jeune. On la voit très bien maîtresse aimée et amoureuse.
Pour vivre tous les jours avec les mêmes personnes, il faut garder avec elles l'attitude qu'on aurait si on ne les voyait que tous les trois mois.
Ce n'est pas nouveau : c'est renouveau, tout au plus.
29 septembre.
Le pivert : « Peut-on entrer ? » Il regarde de l'autre côté s'il a percé l'arbre. Le chirurgien des arbres.
30 septembre.
Le juge avec sa toque, coiffé comme un gros crayon.
Qu'est-ce que vous voulez que je fasse ! Est-ce ma faute si je n'ai pas le menton volontaire ?
Tu passeras ta vie à crever ta coquille.
Relu les lettres de Schwob. Nos lettres, c'est bien ce qu'il y a de meilleur en nous.
Patience ! L'eau de mon petit ruisseau arrivera à la mer.
Je veux que mon oreille soit un coquillage qui garde tous les bruits de la nature.
Et, quand une feuille qui paraît abritée se met tout à coup à remuer, à délirer (oui ! elle a le délire), ses voisines restant calmes, n'y a-t-il pas là un mystère ?
Sois modeste ! C'est le genre d'orgueil qui déplaît le moins.
La vie qu'il y a dans une mouche. Son arrière-train transparent de mie de pain. Elle frotte ses deux pattes de devant l'une contre l'autre, et sa trompe entre ses pattes.
Si je l'écrasais comme une mouche ?
2 octobre.
Ne vous illusionnez donc pas ! Né vingt ans plus tôt, vous auriez fait du naturalisme comme tout le monde.
C'est étonnant comme ces écrivains célibataires qui n'ont pas d'enfants s'occupent du problème de l'enfant !
3 octobre.
Celui qui aime la littérature n'aime ni l'argent, ni les tableaux, ni les bibelots, ni le reste. Au fond, Balzac n'aimait pas la littérature.
Balzac est vrai en gros, il ne l'est pas en détail.
Des nuages gris, veloutés, et
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