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Journal de Jules Renard de 1893-1898

Journal de Jules Renard de 1893-1898

Titel: Journal de Jules Renard de 1893-1898 Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jules Renard
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demander si je n'ai pas l'intention de faire un article sur son livre à L'Écho de Paris ou au Mercure de France. Elle a des bandeaux, un petit chapeau plat, des dents jaunes, et de grosses joues, et un fort accent. Elle est comme effrontée et innocente.
    Et je fais le maître, moi. Je parle des illusions que doit avoir ce jeune homme de 26 ans, des difficultés que j'ai eues, moi, de ma bonne volonté à moi. Et je suis flatté. Pensez donc ! C'est la première visite qu'une femme me fait. Elle ne se dégrafe pas, mais ça viendra. Vive la littérature française ! Le métier a du bon. Ça m'embêtera tout de même, de faire cet article. Aussi, j'ai eu la précaution de prévenir la petite dame que çà ne paraîtra pas dans le prochain numéro, qu'un article au Mercure n'avait aucune importance, mais que, si ça pouvait lui être agréable que je passe un quart d'heure à écrire deux ou trois lignes...
- Merci, Monsieur. Vous êtes bien aimable, et je vous demande pardon de vous avoir dérangé.
Si j'avais du talent, on m'imiterait. Si l'on m'imitait, je deviendrais à la mode. Si je devenais à la mode, je passerais bientôt de mode. Donc, il vaut mieux que je n'aie pas de talent.
De Heredia, dans un salon, lançant à toute volée le quadrige de ses postillons, s'écriait :
- Mais c'est admirable, l'Aphrodite de Pierre Louÿs ! Depuis Flaubert, on n'a jamais rien écrit de pareil. C'est le meilleur roman qui ait paru depuis cinquante ans.
Aussitôt Paul Hervieu et Vandérem fichent le camp.
- Ils sont étonnants, ces romanciers ! dit de Heredia. On ne peut pas faire l'éloge d'un roman devant eux.
    Mais quelqu'un :
- Monsieur de Heredia, est-ce que Pierre Louÿs n'a pas aussi fait des vers ?
- Oui, mais, entre nous, il a eu tort, car ses vers sont franchement médiocres.
24 avril.
A Catulle Mendès. « Il me semble que parfois vous me frappez sur l'épaule et me dites : « Jules Renard, vous devriez faire un petit voyage dans la lune. Ça vous changerait. » Et je réponds, résigné : « C'est une idée ; mais comment ? » Non ! Nous ne pouvons que tourner sur nous-mêmes, prendre conscience de notre petit être étroit, ou par instants il fait si noir.
« Après les Corneille et les Racine, les grands hommes de rêve, sont venus les La Bruyère et les La Rochefoucauld, les grands hommes de réalité.
« Nous avons horreur des faiseurs, des truqueurs, des faux génies, des idéals de matamores et des bouches gonflées. Le grand homme de demain, celui qui gagnera tout notre coeur, c'est l'écrivain qui n'aura pas le courage d'écrire deux cents pages, et qui posera à chaque instant sa plume en s'écriant :
« Qu'est-ce que je f...-là, mon Dieu ! Qu'est-ce que je f...-là !
« Il n'y aura plus de passionnés. Il y aura des traîtres qui s'amusent. Passionnés d'amour !
    Quoi ? De quel amour ? Parce qu'on a couché avec une femme, avec toutes les femmes, il faudrait lever les bras au ciel ? Vous nous proposez la multiplication infinie du spasme. Mais, sacré mâtin ! lisez donc, avant, une pensée de Pascal, et vous tournerez le dos à la plus belle fille les chairs nues. Je ne crois pas que cette petite fatigue, la renouvelât-on jusqu'à en mourir, ait quelque chose de si enthousiasmant.
« Pour moi, si quelqu'un me propose d'écrire Les Burgraves et me donne la force de les écrire, je ferai signe, de la tête, que non. Le sublime deux fois répété, et quel chef-d'oeuvre vous désignez ! c'est Le fade.
« Vous croyez à notre impuissance et vous ne voulez pas voir notre lassitude, notre effroyable ennui. Oh ! nous continuerons d'écrire. Il faut bien toujours écrire, mais notre plume se promène sur les fleurs comme une abeille écoeurée.
« Vous dites : « Souveraines et vastes chimères » et nous ne comprenons pas. Nous remuons la tête avec un sourire, car nous la connaissons, celle-là, et dans les coins.
« Je vous le dis, mon cher maître : avec Hugo, Lamartine, Chateaubriand, le génie est monté trop haut. Il s'est cassé les reins. Maintenant, il se traîne sur la route comme une oie de village.
« Nous en avons assez, d'étudier les « relations des sexes ». Nous enjambons vos couples qui se roulent à terre, et, comme vous y êtes mêlé - nous faisons le tour - nous sommes plus loin que vous. Nous n'avons aucun mérite à être chastes, puisque nous le sommes par dégoût.
    « J'entendais un grand poëte s'écrier en sortant de son alcôve : « Terre et cieux ! Nous nous sommes aimés

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