Julie et Salaberry
déserteurs de la Sainte Ãglise craignaient désormais pour leur âme et réclamaient la grâce de la sainte communion, le jour de lâoffice pascal.
«à tout prendre, câest toujours un pas en avant pour le salut des âmes», sâétait dit messire Bédard devant ce brusque mouvement de repentir, causé plus par lâapproche dâune guerre que par la profondeur de la foi chrétienne de ses ouailles.
Le regain spirituel de ses paroissiens avait épuisé le curé qui demeurait sans vicaire pour le seconder, malgré les multiples demandes adressées aux autorités ecclésiastiques. Pourtant, monseigneur nâétait pas sans savoir que Chambly était une paroisse difficile, avec sa garnison et son vaste territoire. Mais lâévêque sâenfermait dans un imperturbable mutisme. Aussi bien vouloir faire une brèche dans une muraille avec une fronde!
Messire Bédard soupira. Il nâavait que faire de ces Voltigeurs. Mais qui serait leur aumônier, sinon le curé de Chambly? Et monsieur et madame de Rouville qui sâétaient annoncés ce matin par un billet au ton impérieuxâ¦
«Seigneur, épargnez votre serviteur», implora le curé, une prière qui revenait trop souvent pour que Dieu ne lâait pas encore entendue.
La calèche menant les Rouville au presbytère venait de sâimmobiliser.
â Que se passe-t-il, Joseph? Pourquoi tâarrêtes-tu en chemin?
â Yâa que je ne peux plus avancer, monsieur le colonel. Le passage est bloqué. Impossible de passer.
Joseph désigna un assemblage de madriers posés sur le ponceau.
â Vâlà -tây pas mâsieur Boileau qui sâamène. Il nous fait signe, dit le cocher.
Monsieur Boileau sortait en effet de la chapelle de dévotion dans laquelle il semblait avoir installé ses quartiers. Lâaccompagnaient deux habitants plutôt costauds. Monsieur de Rouville reconnut immédiatement les frères Robert apparentés aux Boileau, qui sâoccupaient des fermages du bourgeois.
â Quâest-ce qui vous prend? demanda le colonel, la moutarde lui montant furieusement au nez. Vous vous êtes levé le derrière en premier?
â Madame, monsieur! salua le bourgeois avec une amabilité sournoise en levant son chapeau, comme un homme qui se sait assuré de son droit. Voyez-vous, on clame haut et fort que ce pont est le mien. On se plaint quâil doit être réparé. Fort bien. Jâai tout simplement décidé dâétablir un péage. Désormais, il en coûte un sol par personne, deux pour une voiture à un cheval, trois pour un attelage. Ce qui vous fait six sols en tout.
Le colonel le foudroya du regard.
â Vous nâavez pas le droit de vous arroger ce privilège.
â Croyez-vous? fit Boileau en agitant une petite bourse pleine de pièces. Peu importe ce quâen dit messire notre curé, ce nâest pas le Saint-Esprit qui mâaidera à réparer le pont, mais de lâargent sonnant et trébuchant.
â Câest du délire! clama madame de Rouville. Le printemps vous monte à la tête, monsieur Boileau. Je doute que vous ayez pris lâavis de votre épouse si pleine de bon sens.
â Comme vous le savez, madame, câest au mari de décider des affaires de la famille.
â Dommage! riposta la dame. Cela empêcherait certains hommes de se rendre ridicules.
â Suffit! hurla le colonel. Dégagez-moi tout ça! ordonna-t-il en désignant les acolytes de Boileau. Quant à vous, Boileau, mieux vaut pour votre carcasse que je ne trouve aucun obstacle sur le chemin à mon retour du presbytère. Sinon, je vous jure quâil vous en coûtera.
â Vous allez chez le curé? Surtout, ne manquez pas de lui annoncer la bonne nouvelle. «Aide-toi et le ciel tâaidera.» Eh bien, voilà , je mâaide.
â Si je nâétais pas si pressé, grogna le colonel, je mâarrêterais pour vous tordre le cou. Allez, Joseph, on y va, ordonna-t-il.
La calèche passa sans encombre, car les Robert avaient libéré la voie, nâosant désobéir au seigneur de Rouville, plus grand personnage à Chambly que leur cousin le sieur Boileau, quoi que pouvait en penser ce dernier.
Au presbytère, le curé accueillit ses nobles paroissiens en anticipant un flot de
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