Julie et Salaberry
un aide de camp et trois domestiques formaient la suite du gouverneur. à tout ce monde, il fallait ajouter des voitures chargées de coffres et de malles, sans compter les chevaux quâon devait loger à lâécurie de monsieur Boileau, celle du curé ne pouvant suffire à la tâche. Ainsi, par la seule présence du commandant en chef des forces britanniques de lâAmérique du Nord, le presbytère devenait le quartier général de lâarmée. Un honneur dont la pauvre Marie-Josèphe se serait bien passé avec le surcroît de travail pour veiller au confort de cet encombrant invité. Pour lâaider, les Talham avaient gentiment offert les services de Lison.
Son frère le curé devait également faire face à une tâche décuplée: messes supplémentaires pour les catholiques des régiments cantonnés à Chambly, multiplication des confessions destinées à purifier lââme des communiants. Même le nombre des baptêmes augmentait, les officiers et soldats mariés étaient souvent accompagnés dâépouses prêtes à faire leurs couches. Dans ces conditions, il devenait impossible à messire Bédard de sâaccorder un seul instant de loisir. Le soir, il sâécroulait sur son lit, épuisé au point de négliger ses prières quotidiennes.
â à propos, messire Bédard, le major de Salaberry mâa fait part de votre extrême dévouement envers nos soldats, commenta le gouverneur en savourant une deuxième tasse de son thé matinal. Jâai écrit à mon adjudant général de vous faire parvenir une somme suffisante à titre de compensation.
â Que Votre Excellence soit remerciée, répondit le curé avec déférence, tout en espérant ne pas avoir trop à attendre avant de recevoir lâargent.
Il suffisait de voir les soldats assister à la messe en rangs bien droits, mais dans une tenue dépenaillée. Le fatras administratif qui régnait, et peut-être, même, une certaine injustice, retardaient la confection dâuniformes dignes de ce nom.
Le curé Bédard avait appris à quel point le major Salaberry se démenait pour obtenir le minimum requis afin dâéquiper ses Voltigeurs, alors quâétrangement, les hommes du Glengarry Fencibles ne souffraient pas du même mal. Les soldats de Baynes étaient bien nourris, et équipés en neuf, de pied en cap.
Un peu partout dans les paroisses de la région, la confusion régnait. Dans sa dernière lettre à messire Bédard, le curé Boucher Belleville, de La Prairie, racontait comment son presbytère avait été dévasté par le passage continuel des troupes qui logeaient chez lui. Son collègue lui confiait ses angoisses: une partie des troupes, et notamment les Voltigeurs canadiens, prendraient leurs quartiers dâhiver à Saint-Philippe, le village voisin de La Prairie.
â Monsieur le curé, je nâai quâà vous louer pour votre hospitalité, dit le gouverneur après avoir avalé les dernières gorgées de la bienfaisante boisson chère aux Anglais. Sans oublier lâobligeance de votre charmante sÅur, ajouta Son Excellence avec un regard aguicheur en direction de la jeune femme.
Marie-Josèphe remercia dâun léger hochement de la tête. Prévost la gênait avec ses amabilités insistantes qui ne ressemblaient guère à celles dâun véritable gentleman . à lâinsu de son frère, le gouverneur avait tenté de lui prendre la taille, comme sâil voulait la serrer contre lui, et cela, en dépit de lâexistence dâune Lady Prévost demeurée à Québec. Dieu merci, Sir George repartait à Montréal le lendemain. Bon débarras! Un jour de plus et câétait elle, Marie-Josèphe Bédard, qui quittait le presbytère pour sâen aller vivre en ville chez son autre frère. Elle commençait à en avoir par-dessus la tête de jouer à la servante du curé et se prenait parfois à rêver dâun gentil mari avec une maison bien à elle.
Lâaide de camp du gouverneur entrait.
â Our mounts are ready, Sir 24 ! dit-il à Prévost qui arbora un air satisfait.
â Messire Bédard, il est temps pour moi dâaller retrouver le major de Salaberry pour la revue des troupes, déclara le
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