Julie et Salaberry
Lâautre, un ascète au profil dâaigle, un érudit féru de philosophie et de mathématiques, nâa de cesse de défendre les droits des Canadiens à la Chambre.»
â Celui qui réclame mon aide est aux prises avec un de ses voisins. Lâindividu veut lui soutirer une forte somme afin de faire réparer un ponceau recouvrant un fossé mitoyen.
â Ces chicanes entre voisins! La plupart du temps, une bagatelle qui se réglerait avec de la bonne volonté, observa Papineau.
â Pourtant, ces petits différends constituent notre pain quotidien, à nous autres avocats. Vous êtes jeune, cher collègue, et rempli de nobles idéaux. Mais vous ne tarderez pas à découvrir que ces disputes révèlent la nature profonde des hommes. Nâest-ce pas votre avis, mademoiselle? ajouta-t-il dâun ton mielleux qui réussit à faire sortir Rosalie de sa fausse indifférence.
â Si vous tenez à avoir mon opinion, monsieur Bédard, sachez que je ferais moi-même un excellent avocat, répliqua-t-elle. Je mây entends pour régler les petits problèmes entre domestiques. Les querelles ne demandent rien de plus quâune poigne de fer pour remettre les esprits en place. Ne dit-on pas ces jours-ci que les Américains, qui sont pourtant de charmants voisins, projettent une invasion chez nous? Quelle sottise! Je vous prédis que si cela sâavère, nos garçons les repousseront. Une poigne de fer, vous dis-je!
â Mademoiselle, intervint alors Salaberry, permettez-moi de vous féliciter pour votre patriotisme.
â Mais laissez-moi vous exposer le cas, reprit Joseph Bédard en revenant à son sujet premier.
Et il narra à ses compagnons de voyage, sans révéler toutefois les noms des protagonistes, lâaffaire qui divisait le village de Chambly.
â Quelquâun aurait influencé lâarpenteur, lui offrant le souper et le coucher. Nous allons contester son procès-verbal.
â Logerez-vous chez lâaubergiste Vincelet? demanda Papineau.
â Non. Il y a suffisamment de place chez mon frère. Il vit seul avec notre jeune sÅur.
â Votre sÅur?
Rosalie réfléchit un peu.
â Serait-elle blonde, bien faite de sa personne et fort aimable? avança-t-elle.
â Mademoiselle Papineau, voilà une charmante description de ma sÅur, Marie-Josèphe Bédard.
â Je la connais! affirma la jeune femme. Je lâai déjà rencontrée au cours dâune précédente visite chez madame Talham. Mais alors⦠votre frère, celui qui se dispute avec ses voisinsâ¦
â Qui demande justice, reprit lâavocat dâun ton sévère. Cette précision est importante.
â Il ne peut sâagir que de messire Bédard! sâexclama Rosalie.
â Câest bien lui. Jean-Baptiste Bédard, curé de la paroisse Saint-Joseph-de-Chambly.
â Le curé! répéta Papineau. En voilà , une histoire! Et peut-on connaître le nom de lâirascible voisin?
â Il se nomme Boileau.
â Le notaire? Impossible, déclara Papineau. On mâa chaudement recommandé cette famille. Des gens parfaitement honorables.
Le regard de son vis-à -vis en disait long sur ce quâil pensait de cette prétendue honorabilité. La carriole ralentit pour passer le gué de la Petite Rivière. Ils arrivaient à Chambly.
La malle-poste avait déposé Rosalie chez les Talham et le sieur Bédard, au presbytère, tout à côté de lâéglise. Un peu avant dâarriver au carrefour dâun chemin qui menait à La Prairie, lâéquipage sâarrêta finalement devant une maison à deux étages dont les murs étaient partiellement enfouis sous la neige jusquâau rebord des fenêtres du rez-de-chaussée. Par contre, lâentrée principale, tout comme la porte cochère menant à lâécurie, était suffisamment dégagée pour permettre le passage.
Le conducteur sâempressa autour des bagages, puis empoigna le sac de la poste de Montréal pendant que Papineau sâextirpait de la voiture, étirant longuement ses membres ankylosés, son capot de laine grise chaudement doublé nâentravant pas ses mouvements. Lâaubergiste sortit pour aider à rentrer les bagages de ses visiteurs.
Pendant ce temps, Salaberry pénétrait dans la
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