Julie et Salaberry
située à quelques pas de lâauberge. Le sieur Drolet tira une montre en or de sa poche: trois heures de lâaprès-midi. De taille moyenne, il semblait petit à côté de Papineau, mais son élégance coûteuse lui donnait toute lâassurance voulue. Le marchand arborait une cravate de soie blanche, nouée sous un frac noir bien coupé. Des cheveux bruns taillés court, des yeux foncés au regard vif et franc, un visage avenant, tout cela plut dâemblée à Papineau.
â Monsieur, si nous allions nous asseoir? dit-il en désignant la grande salle.
â Ce sera très volontiers, répondit Drolet. Ainsi, votre sÅur loge chez les Talham.
â Vous les connaissez?
â Et comment! fit Drolet qui entreprit de bourrer une pipe importée dâEurope, plus luxueuse que celles, en plâtre, des habitants. Qui ne connaît pas les Talham! Sa dame, toute gentille, est encore jolie malgré trois enfants et un quatrième en route, dit-il après quelques bouffées. Et quel homme aimable et dévoué que le docteur! Sa pratique le conduit souvent jusquâà BelÅil et Saint-Marc, où il vient prêter main-forte au docteur Mount. à la campagne, ces messieurs de lâArt sont si peu nombreux quâon sâarrache leurs services. Leur dévouement les oblige à faire continuellement de longs déplacements.
â Je reconnais bien là Talham, déclara Papineau.
Il fit signe à la servante de sâapprocher. Lâinstant dâaprès, celle-ci apportait une cruche de vin et des verres.
â Et vous, Drolet, que faites-vous à Chambly, en plein hiver?
Le beau jeune homme afficha un sourire gonflé dâorgueil.
â Câest que⦠voyez-vous, je suis fiancé à lâune des demoiselles Boileau.
Il sâempressa de raconter à son nouvel ami comment il avait rencontré sa Sophie, lâété dernier.
â Jâétais de passage à Chambly pour mâentretenir dâune affaire avec le notaire Boileau. Je suis dâune famille de négociants⦠de marchands, précisa-t-il, comme nous disons au pays, et nous achetons les produits des fermes exploitées par la famille Boileau: blé, orge, avoine, miel et pommes, que nous transportons jusquâà Québec. Leurs terres comptent parmi les plus fertiles de la seigneurie de Chambly. La vallée de la rivière Chambly est riche, vous savez. On y cultive le meilleur blé du pays.
Drolet narra comment il avait été présenté pour la première fois aux sÅurs du notaire.
â La scène, pastorale, était si charmante quâelle aurait pu être reproduite par un peintre. Ces demoiselles, coiffées de chapeaux de paille aux rubans colorés, prenaient le frais à lâombre de la galerie en buvant de la limonade. Soudain, une fée vêtue dâune robe indienne légère est apparue devant moi pour mâen offrir un verre.
Il soupira en se rappelant cette image. Sous son ombrelle, les cheveux clairs de Sophie Boileau bouclaient gracieusement et ses lèvres roses formaient un sourire rempli de promesses. La fée nâavait pas tardé à faire comprendre à Toussaint Drolet quâil lui plaisait.
â La cadette⦠et la plus jolie, affirma avec fougue le jeune homme. Je venais à peine de lui être présenté que jâétais déjà décidé à lui offrir mon nom.
â Je vous félicite pour vos fiançailles. Jâaurai sans doute la joie de rencontrer votre promise en allant saluer la famille Boileau. Et quand seront célébrées les noces?
â Pas avant lâautomne, soupira le marchand. Mon futur beau-père a exigé de longues fiançailles. Il retarde le plus possible lâheure de la séparation. Vous comprenez, jâépouse sa fille préférée.
â Jâadmire votre patience, Drolet. Pour ma part, lorsque je serai fixé sur le choix dâune épouse, jâexigerai que le mariage se fasse rapidement. Pourquoi attendre, si tout est décidé? Mais parlez-moi un peu de la famille, demanda Papineau.
â Les Boileau sont avantageusement connus dans toute la région de la rivière Chambly.
â Je dois pourtant vous avouer quâon y a fait allusion devant moi en termes peu élogieux, confia Papineau. Une querelle où les Boileau auraient de grands
Weitere Kostenlose Bücher