Julie et Salaberry
votâ visite sans le savoir. Eh bien! Quelle histoire!
Dâun geste, Julie interrompit le bavardage de Vincelet qui aurait bien voulu en apprendre un peu plus sur son pensionnaire pour en parler à sa femme. Mais la demoiselle de Rouville nâavait pas lâintention de sâattarder.
â Je suis pressée, on mâattend chez les Talham. Je vous remercie de votre amabilité, monsieur Vincelet.
Et elle quitta les lieux, toute à sa surprise. Lâofficier était bien son cousin Salaberry! Mais quâallait-il penser dâelle lorsquâil découvrirait quâil lâavait croisée au comptoir dâune auberge, et sans chaperon? à Chambly, personne ne se formalisait de voir la demoiselle de Rouville aller et venir sans façon. Mais ce cousin inconnu, dont son père disait quâil était le protégé dâun prince dâAngleterre, en jugerait-il de même? Elle le reverrait ce soir, assurément, puisque ses parents le retiendraient à souper. Julie repassa mentalement les recommandations faites à la nouvelle cuisinière pour le menu du soir: une soupe à lâorge, un brochet qui avait été pêché sous la glace par Joseph et un rôti de porc aux pommes. Serait-ce suffisant pour satisfaire un tel homme?
«Je reviendrai plus tôt que prévu de chez les Talham, afin que la table soit bien dressée et que rien ne manque», se dit-elle, déterminée à faire bonne impression à ce membre de sa parenté.
Il lâavait regardée avec intérêt, mais sans la reconnaître lui non plus, sinon, certainement, il se serait empressé de se présenter. Du moins, constatait-elle avec soulagement, ce militaire avait de bonnes manières. Quelle différence avec les officiers de la garnison de Chambly, si ennuyeux, que son père, monsieur de Rouville, invitait parfois à leur table.
Néanmoins, elle ferait plus ample connaissance avec ce cousin plus tard. Marguerite lâattendait pour le thé, et cette fois, elle consacrerait sans faute les prochaines heures à ce plaisir mondain. Et avec un peu de chance, le notaire René Boileau y serait également. à cette pensée, Julie avait déjà oublié le bel officier.
Â
Chapitre 5
Les souvenirs du notaire Boileau
â Allons, dépêche-toi, dit Victoire Lareau à Lison, la petite servante nouvellement engagée chez les Talham. Ils attendent le thé.
La voix sèche de Victoire résonnait dans la cuisine de la demeure du docteur Alexandre Talham, médecin à Chambly. La fillette sursauta. à quatorze ans, elle avait encore beaucoup à apprendre et devait faire dâénormes efforts pour vaincre une timidité qui la rendait maladroite.
â Cette fille, toujours à rêvasser!
â Je vous jure que non, dit Lison en tremblant. Voyez, il ne reste plus quâà ajouter le sucre et le lait, fit-elle en réprimant la terreur que lui inspirait la mère de madame Talham, sa maîtresse.
Au village, il y en avait même pour dire que Victoire Lareau était un peu sorcière et Lison se montrait prête à les croire. Lâautre jour, en lavant la vaisselle, elle avait cassé deux assiettes, uniquement parce que la vieille dame la fixait en silence avec des yeux aussi noirs que ceux dâun corbeau.
à bien y penser, madame Lareau nâétait peut-être pas aussi âgée quâil y paraissait. Sous son bonnet de mousseline, on apercevait quelques cheveux gris, mais elle ne venait jamais sans être accompagnée de sa petite dernière, une fillette dâenviron huit ans prénommée Appoline. La très jeune sÅur de madame Talham était du même âge que le petit monsieur Melchior, le fils de ses patrons. Peu importe quâils fussent tante et neveu, les deux enfants étaient inséparables.
La jeune domestique lissa avec précaution le tablier blanc, propre et bien repassé quâelle portait avec fierté. Elle en possédait un deuxième, qui était à sécher, suspendu dans la chambrette quâelle occupait sous les combles de la maison du docteur Talham. Dans le trousseau offert par ses employeurs lors de son engagement, elle avait trouvé deux coiffes pour le jour, un bonnet de nuit, deux chemises toutes neuves, deux jupes â une pour lâété et lâautre pour lâhiver â, un
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