Julie et Salaberry
lâaubergiste lâaccueillit avec déférence.
â Mademoiselle de Rouville! Câest toujours un honneur quand vous prenez la peine de vous arrêter chez nous.
â Trop aimable, monsieur Vincelet. En me rendant chez le docteur Talham, jâai aperçu la voiture de poste sur le chemin. Je me demandais simplement sâil y avait des lettres pour mon père.
Le ton posé, elle sâexprimait dâune voix très douce, avec une délicatesse de langage qui révélait ses origines aristocratiques.
â Jâvais chercher le sac de la poste, répondit Vincelet.
Pendant quâelle attendait, Julie fut distraite par le bruit sec de bottes claquant sur les marches de lâescalier qui menait à lâétage. Curieuse, elle se détourna pour mieux voir la silhouette dâun officier qui descendait dans la pénombre du couloir, devinant sous le manteau militaire une carrure aux larges épaules. Lâhomme sâapprêtait à sortir en enfilant des gants de cuir fourrés, quand il releva la tête. Câest alors quâelle remarqua ses yeux. La couleur dâun ciel de printemps. Ils semblaient fixer un point lointain connu de lui seul et lorsque ce regard incroyablement bleu croisa les yeux fauves de Julie, le bel officier lui adressa un sourire courtois et la salua dâun bref mouvement de la tête.
â Mes hommages, miss, fit-il avec un accent anglais très prononcé.
Même si elle était de nature plutôt réservée, Julie connaissait les usages du monde et nâhésita pas à répondre à ce gentleman qui la saluait en public.
â Monsieur, fit-elle aimablement avec une brève révérence.
«Quelle prestance, se dit-elle. Un officier britannique, sans doute.» Impossible dâen apprendre plus sur son compte, il avait déjà passé le seuil de la porte, non sans lâavoir gratifiée dâun regard admirateur. Flattée, mais tout aussi intriguée, Julie sâinterrogea sur lâidentité de lâofficier.
Dehors, Salaberry faisait de même. «Qui est cette charmante jeune dame à lâallure décidée? se demandait-il en enfourchant le cheval loué à Vincelet. Réside-t-elle à lâauberge? Assurément, elle est de la bonne société. Rien à voir avec la campagnarde quâon veut me faire épouser. à mon retour, je demanderai à lâaubergiste de me renseigner.»
Dans lâauberge, Vincelet vidait le gros sac de toile contenant le courrier sur le comptoir.
â Voyons ça, marmonnait-il en examinant les lettres une à une. Mes regrets pour votâ père, dit-il finalement à Julie. Je nâai aucune lettre pour lui.
â Pourtant, il affirme attendre instamment des nouvelles de Québec.
â Vraiment? Peut-être que la lettre est venue par la faveur de lâofficier qui vient de sortir, suggéra lâaubergiste en se frottant le menton.
Câétait pratique courante que de confier son courrier à des voyageurs.
â Il sâest informé du chemin du manoir dès son arrivée, poursuivit Vincelet. Il a même envoyé un messager pour sâannoncer. Apparence quâil voulait voir votâ père le colonel.
â Votre messager est certainement arrivé après mon départ de la maison. Cet officier anglais, savez-vous qui il est?
â Un major de lâarmée britannique, mademoiselle de Rouville, annonça fièrement Vincelet. Et il parle français.
Cette révélation plongea Julie dans la perplexité.
â Ce monsieur serait-il notre cousin dont on nous a annoncé la venue?
â Votâ cousin? Et vous lâavez pas reconnu?
â Oh! Mais comment aurai-je pu? La dernière fois que je lâai vu, je nâétais quâune enfant.
La curiosité lâemportant sur la discrétion dont aurait dû faire preuve un aubergiste, Vincelet se pencha sur lâimmense cahier relié et recouvert de vélin qui occupait en permanence une partie du comptoir.
â Attendez un instant, mademoiselle, dit-il en examinant la dernière page du registre en laissant glisser son index noirci dâencre.
â Ah! Ici. Voyez.
Il désigna une inscription.
â Major Charles de Salaberry , lut Julie, troublée. Mon Dieu!
â Ãa parle au diable! sâexclama lâaubergiste. Vous auriez croisé
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