Julie et Salaberry
à lâétranger. Je ne connais pour ainsi dire personne qui a connu les vieux pays comme vous. Mon père a longtemps vécu en France, mais câétait il y a si longtemps. Le notaire Boileau, quant à lui, a voyagé en Angleterre et en France, il y a dix ans de cela.
à lâévocation de René, les joues de Julie rosirent.
â Mais on dit que ces endroits ont bien changé depuis, reprit-elle. Nâest-ce pas votre avis?
â Je ne connais pas la France, avoua Salaberry, après avoir remarqué le léger embarras de sa cousine. Et depuis la Révolution, qui veut se rendre là -bas? LâAngleterre se voit comme la nation la plus civilisée du monde. Quant à lâIrlande, câest un pays magnifique, ajouta-t-il avec un drôle dâaccent dans la voix.
â Vous semblez regretter lâIrlande, plus encore que lâAngleterre, fit remarquer Julie.
â Ce que jâai laissé en Irlande, je crois ne jamais pouvoir le retrouver.
Une ombre de tristesse passa sur le visage de son cousin.
â Un chagrin dâamour? demanda spontanément Julie. Je suis désolée, se rattrapa-t-elle en voyant quâelle était tombée juste, ma question était sans doute indiscrète.
Elle changea de sujet et Salaberry, touché par son attitude compréhensive, conclut quâelle avait bon cÅur.
â Je présume que pendant toutes ces années dâéloignement, votre famille vous a beaucoup manqué?
â Vous avez tout à fait raison. Jâai vécu trop longtemps loin de chez moi. Savez-vous ce que signifie avoir le mal du pays? Un vertige vous prend subitement, une tristesse infinie noie votre âme pendant plusieurs jours. Et, ajouta-t-il avec un sourire désarmant, je vais vous surprendre: même aux Antilles, sous le soleil des pays chauds, nos hivers me manquaient.
Julie lui lança en riant que câétait bien difficile à croire, surtout en plein cÅur de janvier.
â Yes, itâs the truth. Itâs very cold this evening, isnâit 12 ?
Avec elle, il se sentait si détendu quâil venait de passer à lâanglais sans crier gare.
â My God! Pardonnez-moi si lâanglais me vient plus facilement que le français. Dans mon esprit, les deux langues se confondent sans que je mâen rende compte.
â Après autant dâannées en Angleterre, câest bien naturel. Moi-même, cet après-midi à lâauberge, avec votre uniforme et votre accent, jâavoue que je vous avais pris pour un officier anglais.
â Really! Et moi, si jâavais su qui vous étiez, je vous aurais immédiatement enlevée.
â Enlevée?
â Mais oui, pour que vous puissiez me guider jusque chez vous, expliqua-t-il à une Julie ébahie. Nâayez crainte, ajouta-t-il, je plaisantais. Je nâai pas lâhabitude dâeffrayer les dames, je préfère nettement leur faire la cour.
Il badinait, bien sûr, mais il la sentit gênée par ses propos. «Dans les campagnes du Bas-Canada, on empêche peut-être les demoiselles de fleureter», se dit-il simplement. Autrefois, il avait été séduit par une jeune fille intrépide de la campagne irlandaise, et beaucoup plus entreprenante que celle qui se trouvait à ses côtés.
â Dites-moi plutôt à quoi vous employez votre tempsâ¦
Il hésita soudain.
â Ah! soupira-t-il. Je cherche encore mes mots. Le genre féminin, et tous ces accords!
Les yeux rieurs, Julie attendit patiemment la suite.
â Mais puisque mes difficultés semblent vous amuser, mademoiselle de Rouville, corrigez-moi sans hésiter. Soyez ma maîtresse de français⦠Ainsi, jâaurai lâoccasion de vous faire rire plus souvent.
Il fit une pause.
â Vous savez, vous êtes irrésistible lorsque vous souriez.
Sous le compliment, Julie baissa les yeux.
â Je vous ai fâchée?
â Non, non, je vous assure, monsieur de Salaberry, sâempressa de répondre Julie, se jugeant ridicule dâavoir des réactions aussi puériles.
Elle avait si peu lâhabitude dâéchanger des propos frivoles et sans conséquence avec des célibataires de son âge.
Les demoiselles de Niverville, tout comme monsieur et madame de Rouville dâailleurs, surveillaient attentivement ce qui se passait entre Julie et Salaberry. De sa
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