Julie et Salaberry
Julie.
â Tout de même, ma chère petite, susurra Madeleine de Niverville à lâoreille de Julie, votre cousin, quelle distinction! On voit tout de suite quâil a fréquenté les grands de ce monde. Personne à Chambly ne peut prétendre lui arriver à la cheville, ajouta-t-elle avec insistance.
â Par contre, je trouve que cette madame de Saint-Laurent dont le major a tant parlé avant le souper nâest pas un exemple convenable, dit Thérèse à la sÅur du curé. Je ne comprends pas ce quâil peut lui trouver.
â Elle a pourtant veillé sur les jeunes Salaberry avec la sollicitude dâune mère, fit remarquer Marie-Josèphe que cette mystérieuse dame fascinait. Lâhistoire dâamour de ce prince est follement romanesque!
â Diable! soupira Ovide de Rouville en se penchant vers sa voisine de table. Je vous en prie, mademoiselle Bédard, faites taire ces deux pies bavardes, sinon, nous en aurons pour la soirée avec des «madame de Saint-Laurent» par-ci et des «ce cher prince» par-là .
â Que croyez-vous, monsieur de Rouville? Je suis incapable de pareille impolitesse.
Marie-Josèphe enviait Julie assise auprès de Salaberry â «aimable et plein dâesprit», appréciait-elle â , mais cette place lui revenait sans aucun doute, puisquâelle était la demoiselle de la famille. Elle-même était coincée entre Ovide, qui avait lâair de sâennuyer ferme, et son frère, lâavocat Bédard, toujours le nez dans son assiette. Belle compagnie en vérité!
Soudain, Salaberry fut debout, le verre à la main.
â Madame de Rouville, je déclare que ce repas est divin, fit-il en sâinclinant devant la maîtresse de maison.
â Câest à ma fille que revient votre compliment, répondit la dame tandis que Julie écarquillait les yeux.
Jamais encore sa mère nâavait tenu des propos élogieux sur elle.
â Puisque câest ainsi, très chère cousine, acceptez toutes mes félicitations pour cette soirée délicieuse.
Et il lui décocha un sourire à faire fondre un glacier.
Les demoiselles de Niverville retinrent un frémissement et Julie, plus intimidée que jamais, se leva brusquement de table. Toutes les dames présentes lâimitèrent, croyant quâil était temps pour elles de se retirer.
à table, la conversation des hommes se prolongea autour dâun verre de madère puis le curé déclara quâil fallait rentrer. Après le départ des Bédard, le colonel put enfin relancer Salaberry sur un sujet qui lâavait laissé sur sa faim.
â Dites-moi la vérité, Salaberry. Les forces en poste au Canada et les simples milices de paroisse ne suffiront pas à repousser un ennemi, si ennemi il y a.
â Impossible, en effet! Il faudra lever des régiments de volontaires, créer des milices dâélite mieux formées que les milices de paroisse. Et⦠si je peux vous confierâ¦
Lâofficier hésitait. Depuis quelque temps, un projet se dessinait dans sa tête.
â Allez-y, Salaberry. Nâattendez pas une déclaration de guerre pour faire preuve dâinitiative.
â Voilà . Je pense créer mon propre régiment.
â Câest une idée formidable! sâenthousiasma le colonel.
â Il sâagirait dâun régiment de volontaires, tous des Canadiens. Pour sâengager, il faudra être un natif du pays.
â Salaberry, je vous y encourage fortement, et jâirai même jusquâà vous avancer un peu dâargentâ¦
â Vous feriez ça?
Lâofficier était ému. Il avait spontanément confié son rêve à monsieur de Rouville, sans songer à faire appel à la générosité de son parent.
â Jâaurai sans doute besoin de subsides pour commander des uniformes, organiser le recrutement. Mais il y a loin de la coupe aux lèvres. Jâattends lâoccasion propice pour faire une proposition au gouverneur Prévost.
â Il ne pourra refuser, sinon ce gouverneur est un sot. Et jâimagine que câest vous qui désignerez les capitaines de vos compagnies?
Le colonel de Rouville tendit son verre vide à Salaberry qui sâempressa de le resservir. La bouteille à la main, lâofficier en offrit également Ã
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