Kenilworth
opposée à celle que les soldats avaient prise, et traversa le portique sans être aperçu. Il conduisit Tressilian à la tour de Mervyn, où il avait alors repris son logement, et lui dit avant de le quitter :
– Si tu as assez de courage pour terminer ce combat ainsi interrompu, tiens-toi près de moi, lorsque la cour sortira demain ; nous trouverons un moment, et je te donnerai le signal quand il en sera temps.
– Milord, dit Tressilian, dans une autre circonstance j’aurais pu vous demander le motif de cette étrange fureur qui vous anime contre moi ; mais l’insulte que vous m’avez faite ne peut être effacée que par le sang, et, fussiez-vous parvenu au rang le plus élevé auquel votre ambition aspire, je vengerai mon honneur outragé.
Ce fut ainsi qu’ils se séparèrent ; mais les aventures de la nuit n’étaient point encore terminées pour Leicester. Il fut obligé de passer par la tour de Saint-Lowe, afin de gagner le passage secret qui conduisait à son appartement, et il rencontra lord Hunsdon avec une épée nue sous le bras.
– Et vous aussi, milord, dit le vieux capitaine, vous avez été éveillé par cette alerte… ? Voilà qui va bien : de par tous les diables ! les nuits sont aussi bruyantes que les jours dans votre château. Il n’y a pas deux heures que j’ai été éveillé par les cris de cette pauvre folle de lady Varney que son époux emmenait de force. Je vous promets qu’il a fallu vos ordres et ceux de la reine pour m’empêcher de me mêler de cette affaire, et de briser les côtes de votre favori. Maintenant voilà des querelles et des combats dans la Plaisance … Comment appelez-vous cette terrasse pavée, où sont toutes ces fanfreluches ?
La première partie du discours du vieillard fut pour le comte un coup de poignard. Il répondit qu’il avait entendu le bruit des épées, et qu’il était descendu pour mettre à l’ordre les insolens qui avaient l’audace de se battre si près de la reine.
– Puisqu’il en est ainsi, dit Hunsdon, j’espère que Votre Seigneurie m’accompagnera.
Leicester fut obligé de retourner à la Plaisance avec le vieux lord ; là Hunsdon apprit des hommes de la garde, qui étaient sous ses ordres immédiats, les recherches inutiles qu’ils avaient faites pour découvrir les auteurs de cette alarme. Il les régala d’imprécations pour leurs peines, et les traita de paresseux et de vauriens.
Leicester jugea aussi convenable de paraître fort courroucé de l’inutilité de leurs perquisitions ; mais à la fin il donna à entendre à lord Hunsdon qu’après tout ce ne pouvait être qu’un ou deux jeunes gens qui avaient bu outre mesure, et qui étaient suffisamment punis par la frayeur qu’ils avaient dû éprouver en se voyant ainsi poursuivis.
Hunsdon, qui lui-même aimait assez la bouteille, convint que le vin devait excuser une grande partie des sottises qu’il causait. – Mais, ajouta-t-il, à moins que Votre Seigneurie ne montre un peu moins de libéralité dans l’ordonnance de sa maison, et ne mette ordre à la distribution du vin, de l’ale et des liqueurs, je vois que pour en finir je serai obligé de loger dans le donjon quelques uns de ces braves garçons, et de les régaler avec les verges ; et sur cela je vous souhaite une bonne nuit.
Content de s’en voir débarrassé, Leicester prit congé de lui à l’entrée de son logement, où ils s’étaient rencontrés ; et, revenant ensuite dans le passage dérobé, il reprit la lampe qu’il y avait déposée, et dont la lueur le guida jusqu’à son appartement.
CHAPITRE XXXIX.
« Gare ! de mon cheval je ne serai plus maître,
« S’il voit si près de lui quelque prince paraître :
« Car, pour vous dire en vers la pure vérité,
« Par son illustre mère il était allaité,
« Lorsque, dans son château fier de voir une reine,
« Le noble Leicester fêta sa souveraine. »
BEN JOHNSON, les Hiboux masqués .
Le divertissement qu’on préparait à Élisabeth et à sa cour pour le jour suivant était un combat entre les Anglais et les Danois, que devaient représenter les fidèles et courageux, habitans de Coventry, conformément à un usage long-temps conservé dans leur antique bourg, et dont les vieilles chroniques garantissent l’authenticité.
Les citoyens, divisés en deux troupes, Saxons et Danois, retraçaient en vers grossiers, accompagnés de coups assez rudes, les querelles de ces deux braves nations
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