Khadija
utilisées ordinairement pour battre le lait de chamelle.
Le sourire aux lèvres, bravant les trombes drues, les puissants comme les modestes remercièrent Hobal de ce si précieux cadeau. Enfin la source Zamzam allait retrouver son niveau d'avant la canicule ! Et les puits du haut de la cité, presque asséchés, seraient pleins comme avant ! C'était cela, la magie de Mekka. Jamais les dieux ne laissaient la source sacrée de la Ka'bâ se tarir et, chaque hiver, de longs et beaux orages venaient de nouveau la remplir.
Avant la tombée de la nuit, l'orage cessa dans un dernier roulement de tonnerre. Une chance. La terre si sèche et si dure des rues de Mekka n'absorbait plus les eaux. Les ruisseaux transformés en torrents dévalaient du haut de la cité jusqu'aux bas quartiers des portes d'Al Layt et de Jarûl, au sud et à l'ouest. La poussière de la route et des enclos aux alentours des entrepôts s'était muée en bourbier. Les chameaux s'y enfonçaient jusqu'aux jarrets, les mules y dérapaient. Des pentes abruptes des wadi, asséchés depuis des lunes, bondissaient des coulées de boue et de pierres qui déterraient les maigres arbustes et, parfois, les os des cadavres de la mort noire qu'on y avait imprudemment abandonnés.
Ce soir-là, au coucher du soleil, dans un ciel si bas qu'il semblait possible de le frôler de la pointe des doigts, la fumée des offrandes à Hobal s'éleva de la Ka'bâ, ainsi qu'ici ou là dans les cours des hauts quartiers.
Mais, au cœur de la nuit, la pluie fut de retour.
Une pluie bien différente des trombes de l'orage. Une pluie douce et paisible qui paraissait caresser la terre. Pourtant, à l'aube, dans un jour terne et indécis, chacun découvrit, d'un horizon à l'autre, un ciel de tumulte. Alors que pas un souffle ne se glissait entre les collines de Safâ et de Marwa, un mouvement incessant déchiquetait les nuages dans un chaos de ténèbres et d'éclats d'acier. La pluie, elle, tombait bien droit, fine et régulière. Partout elle avait lavé la poussière, sur les toits et les murs de Mekka comme sur les falaises qui l'entouraient, si cramoisies sous la cendre tempétueuse du ciel qu'elles semblaient ruisseler de sang.
Dans l'après-midi, tout changea de nouveau. Les nuages, qui agitaient le ciel depuis plusieurs jours, s'effacèrent. Le firmament devint lisse, uniforme, lumineux. Puis, subitement, tout s'assombrit. La pluie du matin laissa place à un martèlement froid, dru et serré, d'une effrayante régularité. Au crépuscule, les ruelles de Mekka ne furent plus que torrents. Partout les flots bourbeux, débordant de leurs lits, arrachaient des pans de roche, les malaxant dans un roulement insatiable. Des cadavres décomposés apparaissaient fugitivement et aussitôt disparaissaient, submergés par la boue.
Quand elles n'étaient pas emportées, les tentes des Bédouins cédaient sous le poids de l'eau. Les enfants pleuraient. Les femmes les recouvraient de manteaux et tremblaient autant de froid que de frayeur sous leurs tuniques trempées. Les hommes, hagards, qui tentaient de regrouper leurs bêtes dans l'obscurité afin de les pousser vers les hauteurs, se trouvaient vite prisonniers des torrents qui les encerclaient.
Le vacarme de cette eau se fracassant contre les roches, les murs et les portes de la cité dura toute la nuit. On perçut le bruit sourd des éboulements. Partout où les briques des constructions cuites au soleil avaient été mal assemblées, trop peu liées ou mal protégées par les enduits de chaux, l'eau s'infiltra. Elle gonfla les murs, les réduisit en boue. Les toits les plus anciens, mal conçus, s'effondrèrent. Maîtres et serviteurs, cette nuit, nul ne trouva le sommeil.
Cela dura deux jours. Au troisième matin, toutes les cours étaient inondées. La boue se déversait dans les resserres et les chambres construites en contrebas. Partout les serviteurs tentaient de sauver les réserves de grain, de farine, les sacs de laine, les semences. Dans les cuisines, sous les toits d'alfalfa, les feux étaient éteints, noyés depuis longtemps. Les briques des foyers fondaient et se muaient en une fange caillouteuse. Il ne fut plus possible de cuire la moindre nourriture.
Dans la maison de Khadija, le hanif Waraqà montrait une grande agitation. Selon ses instructions, Abdonaï et Muhammad avaient enfermé ses précieux rouleaux de mémoire dans des coffres recouverts hâtivement de peaux de chèvre et de mouton afin que
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