Khadija
colère.
— « L'orage est venu, l'orage est passé. La protection d'Hobal plane sur Mekka. » Voilà ce que dit la bouche de celui qui a fui notre cité quand la mort s'emparait de nos vies !
Soulevant le bas de sa tunique, Khadija s'avança à son tour dans la boue. Elle marcha jusqu'à la source Zamzam. Sous le regard sidéré d'Abu Sofyan, elle plongea ses mollets nus dans la glaise liquide pour atteindre le bouillonnement de la source Zamzam. Comme lui un peu plus tôt, elle y plongea la main pour s'en mouiller le front et les lèvres. Puis, se redressant, elle le jaugea d'un air hautain et répéta d'une voix pleine d'ironie :
— « Que la crainte vous épargne ! »
Abu Sofyan leva une main, agacé.
— Saïda bint Khowaylid...
Mais Khadija ne le laissa pas poursuivre.
— Puissant cousin Abu Sofyan, il est fort dommage que tu n'aies pas suivi ton propre conseil quand la peur de la mort noire t'a fait abandonner Mekka et notre sainte source !
— Cousine bint Khowaylid...
— Cousin Abu Sofyan, tu as parlé devant tous. Maintenant, c'est moi qui parle devant ces mêmes yeux et pour ces mêmes oreilles. Nous ne sommes pas à la mâla, nous sommes dans les ruines de la Ka'bâ, devant la source sacrée de Mekka. Ici, les femmes parlent comme les hommes.
Ses mots avaient la violence de coups de lame. Abu Sofyan pinça les lèvres, le visage livide d'humiliation. Khadija l'ignora et se tourna vers la foule.
— Je vous le demande : Qui a gardé la Ka'bâ, ses murs et ses idoles debout, quand le seigneur Abu Sofyan et tant d'autres couraient cacher leur lâcheté dans le désert ? Où était la paume d'Hobal quand dépérissaient, pourrissaient et mouraient tant d'innocents, de femmes pures, d'enfants à peine nés, de fils et de filles bien trop jeunes pour connaître le mal et la punition ? Où était la justice du tout-puissant de Mekka ?
Comme Abu Sofyan l'avait fait avant elle, elle s'interrompit pour laisser ses mots atteindre les cœurs et les esprits. Elle fixa des visages connus ici et là, avant de reprendre d'une voix plus basse, vibrante de peine et de rage :
— La vérité, ce sont ceux qui sont demeurés dans les murs de Mekka, dans ses cours et ses maisons infectées de pestilence, qui vous la diront. La paume d'Hobal, elle, nous fuyait. Elle nous abandonnait aussi vite que les chameaux du seigneur Abu Sofyan sur les routes de Ta'if.
À ces mots, des grondements enflèrent parmi les compagnons d'Abu Sofyan et ceux des clans qui l'avaient accompagné dans sa fuite.
Quelqu'un cria :
— Honte à toi, bint Khowaylid ! Comment oses-tu nous insulter ?
D'autres cris s'élevèrent. Des poings se tendirent vers Khadija. Certains se crispèrent sur les dagues.
Du coin de l'œil, Khadija surveillait Abu Sofyan. Il semblait impassible. Elle crut deviner l'ombre d'un sourire sur ses lèvres, l'éclat d'une moquerie dans ses yeux. Abu Sofyan se croyait supérieur à tous et comptait sur sa puissance pour éviter de rendre des comptes aux habitants de Mekka. En attendant, il profitait des protestations des siens.
C'était là sa faiblesse. Son arrogance l'empêchait de comprendre que la cité qu'il avait désertée n'était plus la même. Elle ne se prosternait plus devant sa morgue et sa richesse. À l'insolence des siens répondait à présent l'indignation des survivants : les femmes, les pauvres, les artisans et les modestes commerçants qui n'avaient eu ni chameau ni mule pour fuir la mort noire et qui l'avaient vue dévorer leurs enfants, leurs époux, leurs sœurs et leurs frères. Ceux-là avaient pu mesurer la valeur et le courage de la saïda bint Khowaylid. Dans sa colère, ils retrouvaient un peu de la leur, trop longtemps retenue, et aiguisée par ces jours de pluie et de nouvelles destructions.
— Honte à vous ! hurlèrent-ils à leur tour en brandissant le poing contre Abu Sofyan et les siens. Les mots de la saïda ne sont que vérité. Ils vous insultent ? Puisque la paume d'Hobal est sur vous, qu'elle vous protège ! C'est la vérité qui vous insulte !
En un instant, l'espace sacré de la Ka'bâ, d'ordinaire recueilli et silencieux, se mua en un chaos de vociférations. Un geste de trop et, à coup sûr, un carnage aurait lieu.
La raideur faussement désinvolte d'Abu Sofyan révéla à Khadija que c'était précisément ce qu'il espérait. Elle chercha des yeux son époux. Elle l'aperçut un peu en retrait, près de la Pierre Noire. Il
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