Khadija
insista :
— Et j'aimerais bien avoir un Muhammad ibn `Abdallâh qui vienne encore dans ma couche caresser ce corps si laid que j'ai à lui offrir.
Le visage marqué par le reproche, Khadija s'apprêtait à répliquer, mais Muhavija lui ferma la bouche d'un doigt.
— Ne te fâche pas. Je sais bien que ton cœur gronde. J'étais moi aussi devant les ruines de la Ka'bâ. J'ai entendu les mensonges d'Abu Sofyan et je t'ai entendue. Et tout à l'heure, dans ta cour, j'ai vu l'expression du hanif...
— Il ne me trouve pas assez modeste. Il dit que je mène Mekka à la guerre.
— Pour la guerre avec les Al Çakhr, il se peut. Mais on sait que le seigneur Abu Sofyan est un lâche. Quant au reste...
Muhavija grimaça. Du mieux qu'elle put elle imita le ton de Waraqà :
— Il t'a dit : « Comment oses-tu, toi, une femme, te quereller avec un homme et parler de guerre devant la Ka'bâ et ces ridicules idoles ? »
L'imitation était si comique que Khadija ne résista pas au rire.
— À peu près.
— Qu'il n'ait jamais trouvé de femme pour sa couche n'a pas arrangé son caractère ni l'opinion qu'il a de nous.
— Ses sornettes sur les femmes, je les connais depuis toujours. Mais il dit peut-être une vérité.
— Oui ?
— Je n'ai pas réfléchi. Je me suis dressée devant Abu Sofyan en oubliant que j'avais un époux. C'était à lui de parler. Ce que j'ai sur le cœur, il le sait. Mes reproches sont les siens. Il devait s'exprimer à ma place. Maintenant, on va se moquer de lui dans Mekka.
— Tu te trompes, personne ne l'humiliera.
Muhavija prit les mains de Khadija, l'obligeant à s'asseoir.
— Je t'ai vue et entendue, comme les autres. En ce moment, tout Mekka répète les paroles de la saïda bint Khowaylid devant le puissant Abu Sofyan. Tes mots, nous les avions tous dans la gorge depuis longtemps sans oser les prononcer. De cela, Waraqà ne se soucie guère.
— Mais j'ai parlé à la place de mon époux.
— Si cela est, il te le dira...
Muhavija se tut. Un fin sourire se posa sur ses lèvres fripées. Khadija soutint son regard.
— La vérité, cousine Khadija, c'est que, au fond, tu t'en veux plus à toi-même que tu n'en veux à Abu Sofyan. Tu es préoccupée de ne plus pouvoir offrir ton corps de belle amante à Muhammad et blessée de n'avoir su lui donner un second fils. Et contre cela, tu es impuissante. Te dresser contre Abu Sofyan, cela, tu le peux. Mais ne t'égare pas, ne laisse pas ta blessure t'aveugler. Crois-moi, Muhammad te contemple avec amour. Tout à l'heure, quand tu te tenais devant Zamzam, il était fier de toi ! Ces mots que tu prononçais, il savait qu'ils devaient être dits. Et par ta bouche. Tu as accompli ce que tu devais accomplir. Maintenant, fais confiance à ton époux.
Le retour de la Pierre sacrée
À l'heure du repas, la sagesse de la cousine Muhavija pour être bien différente ne s'avéra pas moins réelle que celle du hanif.
Pour la première fois depuis le début des pluies, la cour s'asséchait. La fumée s'élevait de nouveau depuis les foyers de la cuisine. L'odeur familière des galettes et de la soupe de fèves flottait dans l'air. Les servantes remirent les tabourets sous le tamaris. Muhammad vint s'y asseoir près de Khadija, tandis qu'Ashemou prenait soin des enfants. Le siège du hanif demeura vide. Muhammad le fit remarquer avec un sourire.
— On dirait que le sage Waraqà a beaucoup à faire avec ses rouleaux.
— Il désapprouve ce que j'ai dit et fait ce matin devant la Ka'bâ.
D'un hochement de tête Muhammad confirma.
— Il désapprouve toutes les fortes paroles qui ne viennent pas de lui.
Cela était dit avec autant de moquerie que d'affection.
— Il désapprouve que l'épouse parle à la place de l'époux, fit encore Khadija.
— Je le sais.
— Il t'a certainement dit : « Comment permets-tu à ta femme de tenir tête au seigneur Abu Sofyan ? »
— En effet.
Kjhadija leva sur époux ses grands yeux noirs cernés de khôl, sans dire un mot. Muhammad parut surpris par ce silence.
Soudain :
— Et s'il avait raison ? demanda Khadija.
— Raison ? Non. Veux-tu savoir ce que je lui ai répondu ?
— Oui.
— Je lui ai dit : « Mon épouse tenait déjà tête au seigneur Abu Sofyan quand je n'étais que son serviteur. Pourquoi devrais-je prendre la place qu'elle a su tenir sans moi ? »
Il mâcha un peu de sa galette et ajouta :
— N'est-ce pas ce que tu as dit devant
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