Khadija
surprise.
L'aîné parmi les puissants prit la parole pour ouvrir l'assemblée.
— Nous sommes réunis aujourd'hui pour décider quelles sont les mains qui tireront notre sainte Pierre Noire de la boue, dit-il.
Tumulte, agitation, brouhaha : tout le monde voulait parler à la fois. Principalement ceux dont la voix ne pesait guère à la mâla. Quand le calme fut enfin rétabli, Abu Sofyan avait eu tout le loisir d'apercevoir la nimcha portant la gravure de son clan sur les genoux d'Abu Talib. Il était blême de fureur. Autour de lui, ses amis tâchaient de l'apaiser.
Quand Abu Talib se leva, arborant la nimcha, Muhammad se dressa à son tour et posa une main sur l'épaule de son oncle.
— Pourquoi vouloir que dix de nos doigts se posent sur la Pierre Noire ? demanda-t-il devant l'assemblée étonnée. Cette Pierre sacrée n'appartient-elle pas à tous ? Un seul de nos pouces la souillerait. La trace de nos paumes effacerait celle qu'y a laissée celui qui a placé la Pierre Noire dans la Ka'bâ. Hobal pour les uns, Ibrahim pour les autres. Je parle du père d'Ismâ'îl.
Muhammad se tut et, d'un regard, fit le tour des auditeurs. Puis il fixa Abu Sofyan.
— Nos fautes, qui les connaît mieux que nous ? Et que Mekka ait besoin de tous, qui le sait mieux que nous, qui fûmes séparés devant la mort noire ? Si la pluie est venue purifier ce qui était souillé par nos fautes, allons-nous redresser nos murs en nous affrontant ? À quoi bon la guerre et l'humiliation ? La sainte Ka'bâ possède quatre côtés et quatre angles, mais une seule Pierre sacrée. Cela signifie que chacun, depuis le lointain Hedjaz jusqu'aux collines du Kabsi, peut trouver le mur qui lui convient pour honorer son dieu. Ces dieux sont multiples. Mais il n'est qu'une Pierre Noire pour nous unir. Et c'est pour manifester cette union que nous tournons sept fois autour d'elle.
Abu Sofyan parut soulagé.
— Comment comptes-tu remettre la Pierre Noire à sa place sans que nul ne la touche ? demanda-t-il avec une pointe d'ironie.
Sans se laisser démonter, Muhammad répondit :
— Je propose que nous la portions à sa place comme elle nous le demande : par ses quatre angles.
Les mots de l'époux de Khadija se répandirent rapidement dans la ville et apaisèrent les habitants qui se préparaient à l'affrontement.
Quand Muhammad fut de retour dans la cour de Khadija, entouré d'Abu Talib, de Zayd et de représentants de clans amis, il fut accueilli avec admiration. Khadija, cependant, paraissait soucieuse. Elle attendit qu'ils soient seuls pour confier ses craintes à son époux.
— On m'a rapporté tes paroles devant ceux de la mâla. Ne penses-tu pas que tu promets un monde qui n'est pas encore le nôtre ? Comment Abu Sofyan, l'homme qui se meut dans le sang et la fourberie, pourrait-il comprendre ce que tu dis ?
Muhammad serra Khadija contre lui, baisant son front, ses yeux et ses lèvres avant de répondre :
— Qui peut savoir ce qu'il y a à l'intérieur d'un homme s'il n'essaye pas de lui ouvrir le cœur ?
L'accident
Avant le crépuscule, l'esplanade de la Ka'bâ était comble. Contrairement à la veille, la foule était silencieuse. Sous ses pieds, le soleil avait fait son œuvre. La boue durcissait et les flaques s'évaporaient. Mais l'eau de Zamzam courait toujours à grands flots, creusant son sillon vers le bas de la cité et ruisselant sur la Pierre Noire.
Ceux de la mâla arrivèrent en rangs serrés. Le grand ancien portait un tapis sur ses bras repliés. Derrière lui marchaient Abu Sofyan et Muhammad ibn `Abdallâh, chacun tenant un bâton épais à l'extrémité plate et polie.
Quand ils approchèrent de la sainte source et de la Pierre Noire, les trompes en corne de bélier retentirent. Leur son grave pénétra les corps et fit plier les nuques.
L'ancien de la mâla s'immobilisa devant la Pierre Noire. Il déplia le tapis et le brandit. C'était un tapis composé de quatre petits tissages que des femmes depuis le matin avaient solidement cousus ensemble. Arbres, losanges, crénelages et jeux de cercles qui caractérisaient chacun des quatre clans les plus puissants de Mekka étaient reconnaissables sur chacun de ces quatre tissages : les Abd Harb et les Al Çakhr d'Abu Sofyan, les Khowaylid de Khadija et les Hashim de Muhammad et d'Abu Talib.
L'ancien tendit un angle du tapis à Muhammad, le deuxième à son oncle Abu Talib, le troisième à Abu Sofyan et le quatrième à son oncle
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