Khadija
Al 'Acr. Les trompes sonnèrent une deuxième fois. La foule vit les quatre hommes, chacun tenant une pointe du tapis au-dessus de la Pierre Noire, tourner sept fois autour d'elle.
Ils déposèrent ensuite le tapis au bas de la Pierre sacrée, dans la boue et le ruissellement de Zamzam. Au grand étonnement de tous, Abu Sofyan et Muhammad saisirent des bâtons qu'ils avaient apportés et, sans jamais la toucher de leur main, parvinrent à hisser la Pierre Noire hors de la fange et à la faire rouler au centre du tapis.
Les premiers cris d'admiration jaillirent. Ils cessèrent dès que les quatre hommes empoignèrent les quatre angles du tapis et, d'un même mouvement, le soulevèrent. La Pierre Noire était lourde. Son poids surprit Abu Talib autant que l'oncle d'Abu Sofyan. Le tapis manqua de leur glisser entre les doigts. Des femmes hurlèrent. Abu Talib et Al 'Acr raffermirent leurs prises. Lentement, dans le plus parfait silence, les quatre hommes se déplacèrent vers les vestiges de la Ka'bâ.
La foule retint son souffle quand ils enjambèrent la statue toujours effondrée d'Hobal. Puis lorsqu'ils entrèrent dans le flot de Zamzam. Ils déposèrent enfin le tapis et la Pierre Noire à son emplacement ancien à l'angle est de la Ka'bâ.
Ils lâchèrent ensuite les coins du tapis, qui retomba lourdement, gorgé d'eau. Sans attendre, repliant son manteau tout boueux sur son épaule gauche, Muhammad dévoila le baudrier qui lui barrait le torse.
Il y eut un instant d'inquiétude lorsqu'il tira la nimcha de Tabouk de son fourreau. Mais ce n'était que pour trancher l'un des côtés du tapis prisonnier de la Pierre Noire. Geste qu'il répéta par trois fois, tranchant ainsi le tapis à l'aplomb des quatre faces de la Pierre Noire sans jamais effleurer celle-ci.
Alors seulement chacun comprit le projet d'Ibn `Abdallâh. Désormais, la sainte Pierre Noire de la Ka'bâ reposait sur les dessins des puissants clans de Mekka comme si elle s'appuyait sur l'union de ses fils.
Le feulement rauque des cornes résonna au milieu des cris de la foule. Tous se précipitèrent pour déposer une offrande devant la Ka'bâ. Puis, par grappes s'écartant de la foule, ils commencèrent à tourner selon la tradition autour de l'édifice sacré. Les visages inondés de larmes.
Muhammad et Abu Talib s'éloignèrent sans un mot, laissant Abu Sofyan et Al 'Acr qui exhortaient déjà les leurs à redresser la statue d'Hobal. C'est alors que Muhammad vit le visage blanc d'effroi d'Abdonaï qui s'approchait de Khadija.
Il entendit un cri. Puis un autre. Il se mit à courir, bousculant quelques fidèles sur son passage. Abdonaï tendit sa main valide vers lui.
— Al Qasim ! Ton fils Al Qasim ! répétait-il dans un long sanglot. Ton fils Al Qasim !
L'enterrement d'Al Qasim
Dans l'excitation et la joie qui emportaient la foule auprès de la Ka'bâ, personne n'entendit les cris du Perse. Comme si ses mots ne s'adressaient qu'à eux deux : la mère et le père d'Al Qasim.
Khadija leva les bras au ciel. Ses genoux cédèrent. Elle manqua de tomber. Muhammad lui saisit la taille, la serra contre lui. Elle enfouit son visage dans sa barbe, puis, pour y étouffer le hurlement qui montait de sa poitrine, elle mordit le pan de son manteau. La main de Muhammad caressa sa nuque. Elle y puisa des forces. Elle s'arracha à son époux et se mit à courir. Muhammad lui emboîta le pas. Leurs mains se cherchèrent. S'agrippèrent l'une à l'autre. Le Perse leur ouvrait le chemin. Mais, au-delà de la Ka'bâ, les ruelles étaient vides. Tout Mekka était plongé dans la prière.
Zayd et Bilâl, voyant Khadija et Muhammad s'éloigner, coururent derrière eux, sentant un malheur, mais ignorant encore lequel. Ils soutenaient tant bien que mal la vieille cousine Muhavija, à bout de souffle.
Quand elle arriva, haletante, devant la porte bleue de sa maison, Khadija vit l'attroupement des servantes devant la resserre qui, longtemps, avait été la chambre d'Ashemou de Loin. Une plainte secoua son corps. À son approche, les servantes, en larmes, s'écartèrent. Alors, Khadija et Muhammad virent.
Al Qasim était couché à plat dos sur des débris de brique et des bandes de cuir recouvertes de poussière humide. Sa tunique sale, remontée haut sur ses cuisses, découvrait ses jambes nues bizarrement repliées. Son genou gauche était ouvert et ensanglanté. Il avait la tête tournée sur le côté, basculée en arrière. Son front s'appuyait
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