Khadija
taire Barrira. Ses yeux ne quittaient pas ceux d'Abdonaï. Le rire vint adoucir l'obscurité de ses prunelles, remua ses puissantes épaules, les secouant comme on se débarrasse d'un fardeau.
— Le jour de ton ridicule n'est pas encore levé, déclara-t-il.
De son bras valide, il enlaça les épaules de la vieille Barrira qui sanglotait.
— Quels sont tes ordres ?
— Nous restons ici, à Ta'if, jusqu'à la prochaine lune. Ensuite, nous retournerons à Mekka. Cousine Muhavija nous y précédera. À Mekka, elle fera ce qu'il faut pour que notre retour soit un message à Al Çakhr. Tu devras préparer son voyage, Abdonaï. Et, tous deux, gardez la bouche close. Abu Sofyan ne doit se douter de rien. Surtout pas que nous savons qu'il a ordonné la razzia.
— Khadjiî... Après notre retour à Mekka, une autre lune passera avant l'arrivée de la caravane.
— Je le sais.
— Oh... Il va te falloir beaucoup de patience !
Deuxième partie
Le jeune époux
Fin d'été
Comme la veille Barrira avait eu raison ! Comme le temps paraissait immobile et presque mort ! La lune se levait nuit après nuit, croissante et décroissante, tantôt fine comme une dague mortelle, tantôt opulente comme une femme lourde de vie. Seule, elle prouvait que les jours n'étaient pas une vide succession de présents.
Enfin, arriva le temps où la brûlure de l'été s'apaisa. Les ombres, même au zénith, s'allongèrent sous les pieds des hommes et des bêtes. Suivie de toute sa maisonnée, Khadija s'avança sur la rive de l'oued Ibrahim. L'eau, ici, n'avait pas fait rouler la moindre pierre depuis sept lunes. Les chamelles blanches chargées des paniers, les mules et les chameaux des hommes d'Abdonaï soulevèrent la poussière des pentes du jabal al Nour jusqu'à la plaine du puits Zamzam.
Nichée dans son grand mur d'enceinte, cernée par les tentes et les troupeaux des Bédouins, comme serrée dans une paume immense, grande ouverte vers le couchant et toute calleuse, rugueuse de roches et de failles, apparut Mekka.
Tout au contraire de Ta'if, Mekka était une vraie cité. Étagés sur la pente du val, les murs des maisons traçaient des rues, des passages, des cours ombragées de ficus séculaires. De grands entrepôts s'étiraient dans la partie la plus basse, entourés par les boutiques minuscules d'un bazar.
Un peu plus haut, au cœur d'une esplanade offerte au soleil, l'enceinte de la Ka'bâ protégeait la Pierre Noire sacrée de Mekka. C'était un cube édifié en brique, une manière de maison, dont les angles, avec précision, désignaient les quatre points cardinaux. Bas, à peine plus haut qu'un homme, l'édifice, étrangement, ne possédait aucune toiture et ne comportait qu'une porte si étroite qu'il fallait se présenter de profil pour la franchir.
En son centre, à l'abri des regards, des dalles de basalte entouraient le puits de la source éternelle, la source Zamzam, qui, depuis la naissance des temps, abreuvait Mekka et la rendait unique dans l'immensité asséchée du désert.
Par-dessus l'orifice de la source, soutenue par un plancher de cèdre, se dressait la statue du très puissant Hobal. Son torse était recouvert de dizaines de colliers de cornaline. Sa face, à peine distincte, yeux, nez et bouche limés par les vents de sable, dépassait le mur, affrontant en silence le couchant.
La Pierre Noire elle-même, d'une obscurité plus profonde que la nuit et tourmentée de sillons tel un remous de lave figé dans le temps, soutenait l'angle est de la construction. Un large plateau de brique noirci par la cendre des offrandes agrandissait sa base.
Enfin, à une vingtaine de pas des murs de la Ka'bâ, réparties sur trois cercles, étaient disposées les trois cent soixante idoles de pierre, de bois, d'opale, de lave, parfois aussi de corne ou d'ivoire, ou encore de cuir et d'os : tout le peuple des dieux des tributs du Hedjaz, des déserts du Sud et des montagnes de Ta'if.
Ici, année après année, les pèlerins affluaient de partout, de l'Afrique de Sawakin, de Yanbu, de Yatrib, Shurma ou Sanaa, de la lointaine côte de Kunfida. Par centaines, ils tournaient entre leurs idoles et les murs sacrés de la Ka'bâ, la Pierre Noire de l'origine irradiant leurs paumes tendues. Les yeux clos, la poitrine vibrante de la présence si proche des dieux, ils tournaient sept fois afin que les paumes des puissances inhumaines apaisent leurs peurs, leurs douleurs, que cessent les grandes injustices et que
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