Khadija
homme puissant ne peut avoir trois filles et un seul fils. Muhammad a besoin d'un second fils pour devenir qui il doit devenir.
— Ne tourmente pas les dieux avec un caprice. Ce qui naît et quand cela naît, ce n'est pas à toi d'en décider.
— Évite de parler comme Waraqà ! En quoi cela peut-il bien t'offusquer que je veuille un second fils ?
Barrira connaissait trop bien sa maîtresse pour ne pas hésiter à proférer une vérité que Khadija, certainement, ne pouvait ignorer.
— À quoi bon ? Tu ne m'écouteras pas.
— Ne fais pas tant de grimaces, je sais ce que tu penses. Que je n'en suis pas capable. Que seules des filles sortent de mon ventre. Et pourquoi n'ajoutes-tu pas que je suis trop vieille pour que mon époux ait le désir de me faire un nouveau fils ?
Barrira perdit patience.
— Ce que désire ton époux dans ta couche, tu le sais mieux que moi. Et l'âge d'enfanter, tu l'as encore. Mais l'âge de mourir pour avoir trop donné la vie, tu l'as aussi. Tu le sais. Tu l'as vu autour de nous autant que moi. Cela ne t'a pas servi de leçon ?
La dispute les laissa tremblantes de colère et silencieuses durant des jours. À la première occasion, Barrira ne cacha rien à la cousine Muhavija de la folie que sa Khadjiî adorée s'apprêtait à commettre.
Muhavija n'avait rien perdu de ses manières souples et rieuses malgré les années. Elle commença par apaiser la vieille nourrice. Pourtant les craintes de Barrira devinrent siennes. Elle avait, elle aussi, vu ces femmes qui mouraient dans d'atroces souffrances de trop vouloir multiplier leur descendance.
Depuis longtemps, elle était devenue pour Khadija une sœur de cœur et d'esprit. Elle sut sans peine provoquer un moment de confidence. Mais ce fut pour entendre sa cousine à nouveau répéter que son époux avait besoin d'un second fils.
— Il lui faut se tenir dans la mâla aussi fort, aussi riche que les autres. Il faut que son sang et sa semence incarnent sa puissance. C'est ainsi, et pas autrement. C'est ce que doit faire une épouse pour son aimé : lui donner des enfants mâles.
— Il se peut. Mais, d'après ce que j'ai entendu, ton époux se tient déjà droit à la mâla, bien que n'ayant qu'un fils.
— C'est ce que pensent ceux qui ne voient pas plus loin que leur cour, répliqua Khadija, irritée. Abu Sofyan compte trois fils. Demain, ce sera le temps des fils.
— Peut-être as-tu raison. Mais pense aussi à cela : Muhammad n'a pas besoin d'être veuf. Ou d'avoir une quatrième fille.
Cette dernière remarque, bien que murmurée dans un petit rire, était le seul véritable argument qui pouvait faire douter Khadija. Chaque femme connaissait depuis son plus jeune âge le moyen d'avoir le ventre gros, mais ce qu'il contenait, fils ou fille, seuls les dieux le savaient.
D'une grimace obstinée, Khadija rejeta la mise en garde.
— Une fille de plus, cela signifierait que les dieux ne nous aiment plus, Muhammad et moi.
— Ou que tu es devenue insatiable et capricieuse, répliqua Muhavija. Ouvre grand les yeux, cousine. Tu es comblée, plus qu'aucune femme de Mekka. Et cela ne te satisfait pas ! Un fils ! Serait-ce que tu as besoin d'une « bonne » raison pour passer plus de temps sur ta couche avec ton bel époux ? Offre plutôt des offrandes à Al'lat afin qu'elle te pardonne ta gourmandise. Et cueille le plaisir avec ton mari sans te soucier de fils ou de fille...
Cela était dit avec un sourire de tendresse, avec un peu d'envie et d'admiration, aussi, comme seule Muhavija savait le faire. Khadija, prompte à prendre ombrage, en rit avec elle. Elle sembla se laisser convaincre. Mais ce n'était que jeu et apparence. Muhavija ne se laissa pas duper. Elle insista :
— À ton époux, en as-tu parlé ?
— Non, bien sûr que non ! protesta Khadija. Les femmes ne parlent pas de ces choses-là aux hommes. Elles les font, et voilà. C'est ce qui rend heureux leur époux.
Les jours suivants, chacun dans la maison, et pas seulement la vieille Barrira, remarqua que la saïda Khadija se montrait plus fervente aux prières et aux soins des autels d'Hobal et d'Al'lat. Elle entraîna même la cousine Muhavija dans un long et fervent tournoiement autour de la Pierre Noire.
— Tu n'as donc pas changé de projet ? s'emporta Barrira. Il n'est pas un âne dans tout le Hedjaz qui soit aussi têtu que toi !
Pour toute réponse, Khadija se contenta d'un rire moqueur. À Muhavija qui, elle
Weitere Kostenlose Bücher