Khadija
Kawla et Muhavija comme les servantes et les serviteurs libres, la vieille Barrira au côté d'Abdonaï.
Derrière les maîtres, tous priaient en tournant sept fois, ainsi que l'exigeait depuis toujours l'adoration de la sainte Pierre Noire de la Ka'bâ. Après sept rotations, ils se recueillaient, les yeux clos et les paumes offertes au ciel. Ils parfumaient un peu plus le feu de l'offrande par de nouveaux encens et reprenaient leur chemin autour de la Pierre Noire, tournant de nouveau sept fois.
Cela dura jusqu'à ce que l'ombre des collines de Safà et de Marwa s'étendent sur le sol de l'esplanade.
Alors ceux qui les avaient regardés purent enfin demander :
— Pourquoi ces offrandes et ces prières ? Vous voulez regagner la pitié d'Hobal ? À quoi bon ? Sa punition est toujours sur nous. La mort noire nous dévore, et il nous ignore !
Khadija fut sur le point de leur répondre. Mais elle se tut et, d'un regard, laissa la parole à Muhammad.
— Ce qu'Hobal veut de nous, comme vous, je l'ignore. Mais il ne me suffit pas de voir des doigts noircis pour croire qu'il me punisse. Je ne suis de retour dans Mekka que depuis peu. J'y ai trouvé mon épouse avec le ventre rond. Encore deux lunes et j'aurai un nouveau fils. Je ne veux pas qu'il naisse dans une ville de désolation et de résignation.
Les femmes étaient nombreuses à l'écouter. Beaucoup approuvèrent ces mots dans un soupir. D'autres, ainsi que les hommes encore présents, étaient déjà prêts à la dispute. Cependant, l'assurance de l'époux de la saïda bint Khowaylid les intimida. Muhammad en profita pour ajouter :
— Nous ne savons qu'une chose : la sainte Pierre Noire a été déposée ici pour que Mekka naisse et vive par nos vies. Celles de nos anciens, de nos pères, et demain celles de nos fils. Quand un enfant vient, sa vie n'est pas sûre. Pourtant, on ne se détourne pas de lui si la maladie le prend. On se bat pour qu'il demeure sain et grandisse. Et on ne déchire pas le ventre qui l'a enfanté. Ne plus venir prier et tourner ici, autour de notre sainte Ka'bâ, c'est déchirer le ventre qui nous a enfantés au cœur du désert. Si nous avons commis une faute, nous, le peuple de Mekka, la voici : nous nous sommes détournés de la Pierre Noire comme des époux haineux se détournent de leur couche.
Les jours suivants, à l'aube, ceux qui le voulaient purent voir Muhammad ibn `Abdallâh tourner autour de la Pierre Noire en compagnie de son jeune fils, Al Qasim, et de son compagnon de caravane, Abu Bakr. Au crépuscule, la saïda bint Khowaylid venait y prier à son tour avec ses filles aînées et ses cousines. Les deux épouses d'Abu Bakr, et bientôt des femmes de plus en plus nombreuses, se joignirent à elles.
Pourtant, chaque jour, de nouveaux doigts noircissaient. Il semblait que rien ne changeait, et sans cesse il fallait repousser, enterrer ou brûler de nouveaux cadavres.
Le sixième jour, une très grande chaleur s'abattit sur le Hedjaz. Les toiles des tentes, brûlantes, se tordaient et se déchiraient. L'existence devint insupportable.
Les jours passaient et la chaleur ne diminuait pas. Un soir, Khadija se sentit mal, sa respiration était difficile. Elle alla tout de même tourner et prier autour de la Ka'bâ et ne confia rien de son malaise à son époux. Mais le lendemain matin, elle resta couchée.
Barrira ne relâcha pas un instant sa surveillance. Elle houspillait les servantes pour qu'il y ait toujours des cruches pleines d'eau près de la couche de Khadija.
— Tu dois boire, Khadjiî. Tu dois boire !
Khadija buvait, mais il semblait que l'eau ressortait aussitôt par tous ses pores. Elle ruisselait, de grands cernes se creusaient sous ses yeux. À l'aide d'un linge humide Barrira lui essuyait le visage et la poitrine avec les gestes qu'elle aurait eu pour un enfant. Khadija s'en agaçait, la repoussait. Barrira la laissait gronder et continuait. Une même pensée les obsédait : Khadija allait-elle perdre le fils de Muhammad qui grandissait dans son ventre ? Un malheur allait-il s'ajouter au désastre de Mekka ?
Pourtant, chaque soir, Khadija quittait sa tente pour aller tourner autour de la Ka'bâ. Barrira gémissait et tentait de l'en empêcher.
— Ne va pas là-bas, Khadjiî ! Tu n'es pas en état de tourner sur ce sol brûlant. Tu vas y perdre ton fils. Et pour quoi faire ? Que vaut un dieu, s'il te regarde perdre ton nouveau-né ?
Khadija
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