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Kommandos de femmes

Kommandos de femmes

Titel: Kommandos de femmes Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Christian Bernadac
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vue tandis que j’essayais de tenir le fer à souder immobile. J’écarquillais les yeux. Et, tout à coup, à travers mes larmes et comme grossis par elles, j’ai vu deux mots :
    « Die Liebe…» – L’amour…
    L’établi était recouvert de journaux fixés par des punaises. Les journaux, salis par la colle et les brûlures du fer à souder, et d’ailleurs vieux de plusieurs mois, n’avaient jamais attiré mon attention. Mais puisque j’avais compris deux mots, j’ai lu le reste de la phrase qui devait faire partie d’un feuilleton :
    « Die liebe besiegt alles auf der Erde. »
    Je ne savais pas grand-chose en allemand, mais cette phrase était facile à comprendre : « L’amour vainc tout sur la terre. »
    Cette phrase banale, dans ces circonstances et dans cette langue détestée, n’était plus banale : elle exprimait ce que je croyais depuis toujours ; elle me rappelait les raisons d’espérer. Presque toutes, nous avions travaillé par amour, ou nous étions en prison par amour. Presque toutes, nous avions depuis longtemps offert notre vie. Et la réponse était là. Nous avions eu raison. Le pays serait libéré, l’Ami reviendrait vivant et en bonne santé.
    Chaque matin, en arrivant devant l’établi, je relisais la phrase magique. Elle m’a donné courage tout l’automne.
    *
    * *
    — Nous avions xxvii une gamelle, dite schüssel, qui était faite comme une petite soupière en fer blanc. Moi, j’ai eu la chance d’en toucher une avec deux petites oreilles qui permettaient de l’attacher autour de la taille. Cette gamelle avait aussi parfois la forme d’une petite cuvette ou d’un saladier, et ce n’était guère facile de l’attacher autour de la taille pour travailler. Nous avions aussi une cuillère. Si on laissait au block l’un de ces objets, il n’était plus là au retour. Il était très rare de le retrouver. Sans gamelle, nous n’avions pas de soupe. Et comment travailler avec tout le jour le saladier et la cuillère en mains ? C’était une cause de bastonnade. Si vous déposiez ces objets, quand vous vouliez les reprendre, la gamelle n’y était plus, volée. Au début, naïve comme moi, vous dites à la blockowa :
    — On m’a volé ma gamelle !
    Elle de vous répondre :
    — Tu viens chercher quoi alors ? Pas de gamelle, pas de soupe. Tu ne t’imagines pas que tu vas avoir ta soupe dans ta chaussure ou dans ton bonnet.
    La blockowa vous chasse à grands coups de louche. Une bonne occasion de la cabosser, elle tiendra moins de soupe à l’avenir. Elle vous dira :
    — Pour cette fois, vous vous passerez de déjeuner.
    Si vous ne voulez pas renouveler l’expérience, il vous faut voir la blockowa seule, qui vous proposera un marché. Vous pouvez trouver une gamelle en donnant quatre tranches de votre pain. Ou bien vous ne dites rien à la blockowa, vous signalez votre perte à n’importe laquelle des Russes de droit commun qui hantent les alentours des baraques. Elle connaît sûrement une collègue qui a une gamelle à vendre, si ce n’est pas elle. Quelquefois, c’est la vôtre qui vous est revendue.
    Elle vous dira le prix : quatre portions de pain si c’est une intermédiaire, deux si vous vous adressez à celle qui en a une à vendre… Soit, pour vous, quatre jours sans pain. Vous demandez à voir la gamelle et l’on vous emmènera au fond d’un dortoir. Souvent c’est un tas de gamelles qui s’y trouve et vous y reconnaissez la vôtre, celle qui vous a été volée. La chupp se chargeait bien elle-même de les barboter pour les revendre.
    J’ai travaillé dans un dortoir de Russes où j’ai retrouvé ma gamelle. Elle était en fer galvanisé et avait des oreilles. Je l’attachais dans mon dos avec une ficelle, autour de la taille. J’avais écrit mon nom dessus. Je l’aimais bien ma petite schüssel, elle m’avait coûté quatre tartines. Alors je me suis payée le toupet de ressortir du block des Russes, avec la complicité de mes trois autres camarades de travail, toutes les gamelles qui y étaient entreposées. Plusieurs portaient les noms de mes camarades, dont celle de Renée Leculeur qui était comme la mienne. Des camarades n’avaient pas encore racheté de gamelle, les autres avaient des boîtes à conserve toutes rouillées pour manger leur soupe. J’ai repris ma gamelle et j’ai fait cadeau de celle que j’avais rachetée, qui était en faïence. J’ai redonné à celles qui reconnaissaient les leurs,

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