Kommandos de femmes
nous prenons pour revenir au camp. Mais Évelyne me force avant de me coucher, à aller avec elle au « waschraum » pour me passer le corps à l’eau froide, ce qui m’oblige à réagir. Évelyne me montre un pull-over d’homme, sale, déchiqueté, sanglant qu’elle a trouvé sous des gravats. Elle l’a caché toute la journée sous sa robe, sur ses hanches. Ce précieux lainage lui permettra d’avoir moins froid. Le lendemain, même corvée, nous retrouvons sur le terrain toutes nos camarades des autres blocks, notamment Violette, Léo, Suzon, Gabrielle que nous ne voyions plus depuis notre isolement au block 15. Bien que très surveillées, on arrive à se parler, la bouche presque complètement fermée afin que les gardiennes ne surprennent pas le mouvement des lèvres. Nous serons bonnes au retour pour faire un numéro de ventriloque !
En bordure du terrain, nous voyons des prisonniers de guerre français. Impossible de résister à la joie d’échanger quelques mots avec des hommes de notre pays, des soldats et cependant, si nous étions vues, ce serait le bunker. Constatant notre maigreur, nos visages ravagés, ils nous jettent des morceaux de chocolat, des gâteaux secs, du sucre qu’ils avaient dans leurs poches. Le soir, en rentrant, Violette me dit qu’elle a pu expliquer à ces prisonniers que nous étions des déportées politiques, les Allemands leur avaient affirmé que nous étions des Polonaises, des Russes, criminelles ou prostituées.
Au troisième jour, Suzon et moi sommes tellement éreintées que nous n’agissons plus qu’avec une lenteur de tortues. Suzon, grâce à son cran remarquable, devrait s’en tirer, mais elle est à bout, et le courage ne remplace pas la résistance physique. Au moment où nous allons nous effondrer sous le poids d’un énorme madrier, deux officiers de la Luftwaffe qui surveillent les travaux nous ordonnent de le laisser et nous font prendre quelques minutes de repos. Ils sont très jeunes, comme tous les aviateurs que nous avons vus ici d’ailleurs : dix-huit ans environ. Le plus petit me questionne dans un français très correct :
— Française, n’est-ce pas ?
— Oui.
— Pourquoi teignez-vous vos cheveux ?
Je lui réponds : « Monsieur, si vous pénétriez dans un camp de concentration, vous sauriez qu’une femme ne peut s’y teindre les cheveux.
— Déportée ?
— Politique, oui monsieur, et je me laisse aller à dire à ce jeune Allemand ce que j’ai sur le cœur, car il n’a pas le visage d’un garde-chiourme.
— Nous manquons de tout, monsieur, nous sommes malades, crevons de faim, jamais de savon pour se laver. On nous bat, et si mes cheveux ont blanchi, c’est pendant une nuit dans une cellule, à Fresnes…
— Alors, vous n’êtes pas une prostituée ?
— Non, monsieur, j’ai voulu défendre mon pays, voilà tout !
— Heil Hitler. Tous les autres aviateurs s’étaient approchés et auxquels mon interlocuteur avait traduit mes paroles, font le salut hitlérien. Une envie folle me prend de crier : Vive la France, mais je vois l’Aufseherin bondir vers moi, menaçante, furieuse de s’être éloignée de nous et d’avoir rendu possible cette conversation. Pourtant, devant les officiers, elle réfrène son envie de me battre.
Les officiers me font donner, ainsi qu’à Suzon, une soupe supplémentaire ; nos estomacs sont apaisés, mais gonflés comme des outres. Le soir, l’Aufseherin témoin de la scène de l’après-midi, commande à la blockowa de ne me distribuer ni soupe ni pain.
Le lendemain, je me mets sur les rangs pour retourner au terrain d’aviation ; la même Aufseherin me fait quitter la colonne et me renvoie aux travaux de terrassement du camp.
Cela m’apprendra à avoir répondu aux questions des aviateurs xxix …
*
* *
VI
LES MINES DE SEL DE BEENDORF
— Le hasard xxx voulut qu’après avoir échappé à quatre transports, je sois comprise dans la liste des départs pour là Saxe, pour le camp de Beendorf, le 5 août 1944. C’était un camp que l’on installait dans les hangars de la gare de ce village ; une cinquantaine d’Allemandes et de Tziganes nous avaient devancées et y avaient aménagé la vie ; à notre arrivée, les châlits étaient montés, les paillasses remplies, la corvée de cuisine organisée.
— Le commandant xxxi nous reçut du bout de l’escalier par un discours ponctué de coups de cravache. On nous dirigea vers nos dortoirs
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