Kommandos de femmes
venues chercher fortune en Allemagne. Là, elles s’étaient fait arrêter pour affaires de mœurs, vols, irrégularités diverses. L’une d’elles racontait volontiers comment elle avait assommé son ami à coups de bouteille d’eau de Cologne. J’eus à commander une équipe composée uniquement de ces femmes ; expérience intéressante, mais point de tout repos. Elles avaient entre elles un langage fort salé (qu’il me fallut d’abord apprendre) et des mœurs fort particulières. Ce n’étaient que disputes, bagarres, dénonciations. Mais comme la plupart d’entre elles étaient étonnamment lâches, j’arrivais à les maîtriser et elles avaient même pour moi une espèce d’attachement assez touchant. Somme toute, abstraction faite de leur grossièreté, j’eus plus de plaisir à commander ces « dures » que ma précédente équipe de « bourgeoises ». Et puis, négligentes et paresseuses, elles avaient le génie du sabotage. Dans toutes les équipes dont je fis partie, on sabotait d’ailleurs avec entrain et j’ai la quasi-certitude que nos surveillants le savaient et laissaient faire. C’était d’autant plus facile que, les derniers temps, les commandes étaient tellement pressées qu’on nous arrachait littéralement la marchandise des mains et qu’on l’embarquait encore toute chaude, sans prendre le temps de la contrôler.
— Bien entendu, la présence d’éléments aussi troubles et aussi violents que nos camarades nouvelles-venues acheva de désagréger l’unité du block des Françaises. Dès lors, au camp, ce ne fut plus qu’une suite ininterrompue d’incidents fâcheux et de représailles : pour un oui, pour un non, pour des vivres volés à la cuisine, pour une doublure arrachée à un manteau, la Blonde fouillait, cognait à tour de bras et tondait. Bientôt plus personne, au matin, ne fut sûre de garder sa chevelure jusqu’au soir, vu surtout que la faute d’une seule entraînait la punition de toute la chambrée ou de toute l’équipe. Malgré cela, ou à cause de cela, un vent de folie parut souffler sur le camp. L’histoire la plus sensationnelle fut la double tentative d’évasion de deux Françaises, aventurières nées, qui, depuis l’explosion, se faisaient entretenir par deux « kapos » allemands du camp des hommes, et cela au vu et au su des Aufseherinnen. Le linge et les délikatessen dont ces messieurs couvraient leurs belles amies provenaient, comme on l’établit plus tard, d’un cambriolage chez le bourgmestre du pays. Les deux couples furent dénoncés à la dernière minute, les femmes rasées, les hommes enfermés au « bunker » ; le plus débrouillard des deux s’évada immédiatement. En représailles, on nous retira les chandails et les manteaux à une époque où il gelait à pierre fendre. Les manteaux, ornés de grandes croix, nous furent rendus à Noël, en guise de cadeaux. L’usine nous offrit un bijou en verroterie et trois jours de congé ; mais le camp en profita pour appliquer le principe :
Keine Arbeit, kein Essen.
Pas de travail, pas de nourriture, et réduisit notre pitance à une soupe de choux non salée et à une tranche de pain où le sel faisait également défaut (il manqua pendant plus d’un mois). À la reprise du travail, les femmes tombaient de faiblesse. L’usine, alertée, procéda à une distribution massive de pain, mais l’équipe présente à ce moment dévora le tout sans avertir les autres ; jamais je n’ai rien vu de plus horrible que le degré de fourberie et de bestialité auquel la faim avait réduit certaines femmes dites bien élevées.
— À partir du Nouvel An, l’usine eut de grosses commandes destinées à alimenter la suprême contre-offensive allemande : on se remit à travailler douze heures. Les alertes se multipliaient. Chaque nuit le ciel s’illuminait du côté de Leipzig ou de Berlin. Il fallait deux ou trois fois par nuit revenir au camp au galop, à travers la boue et la neige. À l’aube, quand on eût voulu dormir, la Blonde organisait des fouilles et des appels qui finissaient toujours mal. Mais le vent de folie continuait. La Lageralteste (doyenne du camp), chargée de veiller sur nos vertus, fut surprise avec le chef du camp des hommes.
— L’affaire n’était pas encore tassée que la plus jolie des souris se faisait surprendre avec un kapo juif ; elle se suicida au véronal, fut ressuscitée de force et expédiée à Buchenwald. Elle en revint au
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